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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/168

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repousseront. Il n’en sera pas de même, hélas ! du collet de ta redingote… absent pour le quart d’heure… Tout cela te donne un air… si drôle… que, pardon… mon Albert… mais, maintenant que le danger est passé… je ris… malgré moi… de… ah ! ah ! ah !

Et Maurice de rire de tout son cœur, non point méchamment et afin d’humilier son cousin, mais parce que celui-ci était réellement en ce moment fort risible. Il le sentait, et le ressentiment haineux de son ridicule donna soudain à ses traits une expression si saisissante, quoique fugitive, que Charles Delmare la surprit et se dit :

— C’est trop d’humiliation pour un homme ; il voudra se venger cruellement. Je regrette d’avoir partagé, malgré moi, l’hilarité de ma fille.

Puis, redevenant sérieux, Charles Delmare, s’adressant à San-Privato, lui dit :

— J’ai, monsieur, à m’excuser près de vous d’avoir, à mon âge, cédé à l’entraînement d’un fou rire, dont cette chère mademoiselle Jeane m’a donné le fâcheux exemple : mon hilarité était, je l’avoue, d’autant plus inopportune, que j’aurais dû réfléchir que vous aviez sans doute failli être victime de quelque accident causé par votre inexpérience des courses dans la montagne.

— Il est vrai, monsieur, j’ai failli rouler dans un précipice, — dit Albert reprenant son sang-froid et redevenant parfaitement maître de soi-même.

Puis, répondant à un mouvement de compassion de Charles Delmare, mouvement dicté par la courtoisie, le jeune diplomate ajouta en souriant :

— De grâce, monsieur, n’ayez, non plus que mon aimable cousine, aucun remords de votre hilarité ; le péril est passé, mon niais amour-propre a justement mérité l’innocente punition qui lui est infligée en famille. Je n’ai pas le pied montagnard, ainsi que l’a montré Maurice, mon sauveur, mon intrépide sauveur, car il m’a sauvé la vie, monsieur Delmare ; mais la grandeur du service rendu n’alarme en rien ma reconnaissance, elle saura s’élever à la hauteur qu’il faut, — ajouta San-Privato simulant une touchante émotion. — Je devais donc, en face du danger, dire simplement à Maurice : « Mon ami, le chemin est trop périlleux, je ne pourrais te suivre sans être saisi de vertige… je n’irai pas à cette grotte… » Mais, non, mon sot amour-propre a étouffé la voix de ma raison ; j’ai craint de passer pour un poltron aux yeux de ma cousine… et ce que j’aurais dû prévoir est arrivé… la tête m’a tourné, j’ai vu la mort de près ; mais, le péril disparu, la mo-