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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/171

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dans la plénitude de son amour, la force d’accomplir à tout risque ce qu’elle regardait comme un devoir sacré :

— Tu me demandes ce que cet homme m’inspirait… Je vais, devant lui, te le dire en toute sincérité ; mais promets-moi de m’écouter sans m’interrompre, si étranges que te paraîtront peut-être mes premières paroles… de ne pas m’accuser avant de m’avoir entendue jusqu’à la fin.

— Je te le promets.

— Maintenant, Maurice, devant Dieu, qui me voit et m’entend, voici la vérité : au premier abord, M. San-Privato m’a causé une vive impression ; sa figure m’a charmée, son regard m’a frappée… m’a donné froid… puis j’ai senti mon front rougir, ma joue brûler… Cette sensation a duré quelques secondes. Bientôt, j’en ai eu honte… De l’attrait inexplicable que m’inspirait M. San-Privato, j’ai ressenti du dépit, de la colère contre lui : je l’accusais de me distraire de mon amour pour toi, Maurice ; je l’accusais de me plaire, sinon plus que toi, du moins autrement que toi. Mes paroles sont obscures, je le sais ; mais elles rendent, autant que possible, ma pensée. Hier, vers la fin du dîner, M. San-Privato a raconté ses voyages ; ils m’ont émerveillée : je n’étais plus au Morillon, j’étais partout où ces récits me conduisaient : le tableau de ces brillantes fêtes de cour m’a éblouie ; j’y assistais, belle, parée, entourée d’hommages… Je te dis tout, Maurice… je te dis tout.

— Continue.

— J’ai alors compris ce que pouvait être l’enivrement du luxe, des fêtes, de la parure, pour une femme jeune, belle, riche, élégante et recherchée dans le grand monde ; M. San-Privato m’a tenue sous le charme tant qu’il a parlé. Le dîner terminé, nos parents se sont retirés. Restée seule au salon, je suis devenue profondément triste ; j’avais vu tant de choses merveilleuses en imagination, qu’ensuite de ce rêve éblouissant, où je m’étais jusque alors tant plu… me parut pour la première fois morne, pesante… Je te dis tout, Maurice… le bien et le mal…

— Achève… achève.

— Je me révoltais contre moi-même, contre la mauvaise influence de M. San-Privato ; je lui reprochais de m’avoir ainsi transformée. Tu es rentré au salon… ta vue bienfaisante a soudain, comme un doux rayon de soleil, pénétré, réchauffé mon cœur assombri, refroidi ; tu m’as proposé de faire sur l’heure même notre demande en mariage à nos parents : j’ai accepté avec l’entraînement du bonheur, de la reconnaissance ; je me suis crue