ne faites pas, que diable ! le mal uniquement pour le mal… pour l’honneur… comme on dit ?…
— Eh bien ! cher monsieur Delmare, je suis en cela, je vous l’assure, souvent bien plus désintéressé qu’il n’y paraît.
— Non !… vous vous vantez… vous n’êtes pas homme à perdre comme cela… pour l’amour du bon Dieu, votre précieux et subtil venin, ni plus ni moins qu’une vipère étourdie et follette ! Vous agissez toujours patiemment ; les larmes que vous faites verser doivent être une rosée féconde pour vos projets ?
— Eh ! eh ! ce cher Delmare possède la phrase imagée, poétique !
— Vous êtes trop bon ! Mais, tenez, aujourd’hui, par exemple, vous avez empoisonné, déchiré, torturé l’âme innocente de deux enfants candides, aimants, généreux, inoffensifs. Dans quel but avez-vous fait cela ?
— Qui sait ? peut-être une expérience in animâ vili.
— Allons… l’amour de la science du cœur humain ne vous possède pas à ce point : vous êtes pratique et non spéculatif ; aussi, dans quel but encore avez-vous feint d’être amoureux de Jeane ? enfin, dans quel but voulez-vous l’ajournement du mariage de Maurice, et désirez-vous sa présence à Paris ?
— Vous ne devinez pas ?
— Non…
— Vous jouez au fin avec moi, cher monsieur Delmare ; en tout cas, de deux choses l’une : ou vous devinez mes projets, alors, à quoi bon vous les dire ? ou bien vous ne les devinez pas, et je serais un niais de vous en instruire.
— Quoi qu’il en soit, vous ne pouvez songer à épouser Jeane ; elle est pauvre, et la logique veut que vous épousiez, pour des écus, quelque laide héritière. Quant à songer à faire de Jeane votre maîtresse, vous sentez bien que cela vous serait aussi impossible que de l’épouser… parce que…
— Parce que ?
— Vraiment… je n’ose…
— Ce cher Delmare est d’une timidité…
— Non… mais enfin chacun a, voyez-vous, son petit amour propre… on n’aime point à s’entendre reprocher sans cesse…
— Quoi donc ?
— Dame ! que l’on rabâche.
— Ah ! très-bien !
— Vous comprenez ?
— À merveille.