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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/23

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elle nous annonce inopinément sa visite ; elle vient avec son fils, Albert, passer près de nous un mois au Morillon. Ils arriveront ce soir de Paris vers sept ou huit heures ; nous les attendrons pour dîner ; aussi, cher maître, ma mère vous prie-t-elle d’excuser ce changement dans nos habitudes.

— Votre excellente mère pouvait s’épargner ce souci, mon enfant, il m’est parfaitement indifférent de dîner à six ou à huit heures. La surprise que vous a ménagée madame votre tante a dû causer à votre père un grand plaisir ; car il y a longtemps, je crois, qu’il n’a vu sa sœur.

— Il ne l’a pas vue depuis quatre ans, époque du veuvage de ma tante San-Privato. Elle est venue passer ici les premières semaines de son deuil avec son fils, mon cousin Albert, alors âgé de vingt ans à peine ; il était déjà attaché payé de la légation de Naples, puisqu’il est resté Napolitain du fait de son père, autrefois consul général de cette nation… ce cher Albert ! Il paraît qu’à son âge un tel avancement est exceptionnel dans la carrière diplomatique, nous disait ce digne M. de Morainville, que mon père a fait député… car mon père fait des députés… à ses moments perdus… peut-être ignoriez-vous cela, cher maître.

— En effet, — reprit Charles Delmare en souriant, — je savais que votre père faisait toutes sortes de superbes élèves de Durham, de Spithfield[1] et autres… mais j’ignorais qu’il se livrât aussi… à la production…

— Des députés, — reprit Maurice en riant. — Il en est pourtant de la sorte. Mon père jouit d’une telle confiance dans notre arrondissement, que les électeurs le consultent toujours sur le choix de leurs candidats ; aussi les a-t-il engagés à nommer M. de Morainville, chef de division au ministère des affaires étrangères. Ce personnage, de qui l’influence a été doublée par cette nomination, est resté depuis, assure-t-il… (et c’est beaucoup) est resté, dis-je, dévoué à mon père jusqu’à la mort !

— Ou plutôt jusqu’à la nouvelle élection… C’est moins héroïque, mais plus certain.

— Je suis de votre avis, cher maître ; toujours est-il que M. de Morainville, lors du séjour qu’il a fait ici durant sa tournée électorale, nous disait qu’il était rare de voir des attachés payés aussi jeunes que mon cousin San-Privato. Eh bien… tenez, cher maître, tout en reconnaissant le mérite de mon brave Albert, de qui j’ai gardé le meilleur souvenir et que j’aime du fond du cœur, je

  1. Races bovines supérieures.