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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/27

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rocité de leur critique à l’égard d’Albert. Moi, je le trouve tout bonnement charmant ; puis il était, et il est encore, j’imagine… si élégant… si recherché… si coquet… J’ai l’air d’un ours, d’un homme des bois auprès de lui… Mais je prenais plaisir à le voir attifé avec tant de goût. Enfin, — ajouta ingénument l’athlétique Maurice du haut de ses cinq pieds six pouces, — je regardais Albert comme on regarde un joli tableau, un gentil petit objet d’art.

Charles Delmare sourit, et reprit :

— Votre tante, madame San-Privato, s’accommodait-elle aussi bien que son fils de votre existence rustique ?

— Pauvre tante ! À part le chagrin que devait lui causer la mort de son mari, elle devait beaucoup regretter Paris, elle qui a été, dit-on, une femme à la mode ; mais elle aime tant mon père et ma mère, que le bonheur d’être auprès d’eux lui faisait oublier son cher Paris. Son caractère est encore, s’il est possible, plus affable, plus aimable que celui d’Albert. Elle a pour tout le monde, pour les domestiques même, des paroles non-seulement polies, c’est justice, mais séduisantes, mais câlines : aussi mon père, lui disait-il toujours en riant : « Décidément, Armande, tu veux tourner la tête de toute ma maisonnée. Depuis mon vieux Gervais, le cocher… jusqu’à Josette, la servante… » Mais pardon de mon bavardage, cher maître, j’oublie mon armée de faneurs et de faneuses, sans parler des recrues, dont je dois activer les manœuvres ; les fonctions de général en chef des fourches et des râteaux m’obligent à vous quitter. À tantôt donc, cher maître.

Maurice, après avoir serré cordialement la main de Charles Delmare, se dirigeait vers la porte du salon, lorsqu’il s’arrêta un moment devant le tableau hippique représentant le Colonel-Thornton, monté par un cavalier en habit rouge.

— Je ne puis me lasser d’admirer ce superbe cheval, moi qui suis devenu connaisseur, depuis que mon père élève quelques poulains dans notre prairie du Val-Noir.

Et Maurice ajouta en contemplant le tableau :

— Quel large poitrail ! quelle encolure à la fois vigoureuse et légère ! et cette petite tête pleine de race et de feu ! et ces larges jarrets… Ah ! cher maître, étiez-vous heureux de posséder des admirables chevaux, étiez-vous heureux !

— Mon cher enfant, — reprit Charles Delmare avec un sourire mélancolique, vous voyez ces portraits de Colonel-Thornton et de Miss-Alicia, vous voyez ce nécessaire à écrire, et là, dans ma chambre à coucher, ce nécessaire de toilette en or ciselé ; ajou-