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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/297

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— Cette somme est considérable, je l’avoue, et…

— Et vous doutez que monsieur votre père vous l’accorde, n’est-ce pas ? Moi, je ne veux pas en douter ; j’irai plus loin : j’admets qu’il vous accordera même davantage ; alors, j’en reviens toujours là, vous me rendrez ces vingt mille francs dès qu’il vous sera prouvé qu’ils vous sont inutiles, grâce à la générosité de monsieur votre père ; mais commencez par les accepter… Que risquez-vous ? Tout ceci demeurera secret entre nous.

— En admettant, monsieur, que vous disiez vrai, — répondit Maurice, enfin ébranlé par l’astucieuse logique de son tentateur, — il sera toujours temps pour moi de recourir à vous.

— Pardon, c’est une erreur.

— Comment cela ?

— Le capitaliste dont je suis le courtier a appris par l’un de ses amis, banquier à Nantua (avec un homme comme vous, monsieur, l’on doit jouer cartes sur table), mon patron, dis-je, a appris par l’un de ses correspondants que M. Dumirail et sa famille venaient habiter Paris. Or, mon patron a prévu cette éventualité fort probable, à savoir : que, vu les notables habitudes d’économie de monsieur son père, M. Dumirail fils pourrait avoir besoin de quelques avances, maintenant et plus tard ; mon patron, dans cette supposition, a consacré à ce placement environ cinquante mille écus (il pourra vous ouvrir un crédit montant à cette somme) ; or, si votre refus persiste, ou si vous différez d’accepter les offres, mon patron n’est pas homme à laisser ses fonds improductifs, même pendant un jour ; il en disposera pour une autre opération qu’il a en vue, et, si vous n’acceptez pas aujourd’hui mes propositions, il a dès demain l’emploi assuré de ses capitaux. Encore un mot, monsieur. Il vous semble peut-être extraordinaire que nous avons été si promptement et si exactement instruits de votre arrivée à Paris et de votre demeure ?

— Il est vrai.

— Rien ne vous paraîtrait plus simple si vous saviez que, chaque jour, les propriétaires d’hôtels garnis envoient, à qui de droit, le nom des voyageurs descendus chez eux. C’est ainsi que mon patron, informé de votre arrivée, m’a chargé de vous faire ses offres de service ; mais, je dois vous le répéter, il vous faut à l’instant prendre une décision, sinon, en cas de refus de votre part, mon patron disposera demain de ses fonds.

— En vérité, monsieur, c’est me mettre le pistolet sur la gorge. Mon père doit prochainement arriver à Paris ; je suis certain qu’il m’accordera…