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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/301

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portes. Celle de droite conduisait à la chambre de Maurice, complétement séparée de celle de sa mère, et attenante à une pièce destinée à son père, laquelle avait une sortie sur l’escalier en dehors de l’antichambre ; la porte gauche était celle d’un cabinet où couchait Jeane, cabinet attenant à la chambre de madame Dumirail. Enfin, la porte du fond communiquait à un salon servant aussi de salle à manger. — Le couvert était mis. Six heures du soir venaient de sonner.

Madame Dumirail et Jeane, assises dans l’embrasure de l’une des fenêtres qui s’ouvraient sur la rue, s’occupaient d’un travail de broderie ; toutes deux semblaient soucieuses.

— Ainsi, ma pauvre Jeane, — disait madame Dumirail en soupirant, — jusqu’à présent, Paris ne te séduit pas plus qu’il ne m’a séduite moi-même ?

— Tenez, ma bonne tante, hier, en revenant de promenade aux Champs-Élysées, j’avais la mort dans l’âme.

— La mort dans l’âme ! c’est beaucoup dire, car rien n’était plus brillant que cette promenade : ces belles dames, ces cavaliers, ces voitures ; certes, j’aurais cent fois préféré à ce spectacle, à ce tumulte étourdissant, une tranquille promenade au milieu des fleurs de notre terrasse du Morillon, d’où l’on découvre un si admirable horizon, nos Alpes, nos glaciers. Hélas ! quand les reverrons-nous, nos chères montagnes !

Et, soupirant encore, madame Dumirail ajouta :

— Mais, enfin, il faut avouer qu’hier, le spectacle des Champs-Élysées…

— Était pour moi navrant, m’attristait, que vous dirai-je ? me révoltait.

— Te révoltait, Jeane, et contre qui ?

— Contre tout ce beau monde.

— En vérité, chère enfant, je ne comprends pas ce que tu veux dire.

— Que voulez-vous, ma tante ! c’est à peine si je comprends moi-même ce que je ressens, — répondit la jeune fille avec une impatience nerveuse ; et, après un moment de silence, elle reprit :

— Ah ! pourquoi mon oncle nous a-t-il fait quitter le Morillon ! Vous le verrez, ma tante, notre séjour à Paris nous sera funeste.

— Allons, Jeane, du courage ; ne nous effrayons pas à l’avance ; j’ai reconnu l’impossibilité de lutter contre l’inébranlable volonté de mon mari ; je t’ai suppliée de céder aussi à la nécessité ; tu as consenti à nous accompagner ici, je compte sur ta bonne influence sur Maurice.