tes, mais faibles, qu’il ne faut pas exposer aux tentations ; tout pour lui dépendra de la nature du milieu où il devra vivre… » M. Delmare avait raison, cent fois raison ; il connaissait mon fils mieux que son père ne le connaît.
— Et, cependant, ma bonne tante, vous n’avez pas encore envoyé votre adresse à notre cher maître, dit Jeane d’un ton de doux reproche… — Il est sans doute à Paris, selon qu’il vous l’a promis dans sa lettre, et vous hésitez à le mander près de vous, lui qui, par dévouement pour nous, a renoncé à sa solitude et entrepris ce voyage si coûteux à sa pauvreté ; lui enfin, de qui, en ce moment surtout, les conseils, l’expérience, le soutien seraient si utiles à Maurice.
— Mon enfant, je te l’ai dit, il répugne à ma droiture de recevoir M. Delmare à l’insu de mon mari ; jamais je ne lui ai caché une de mes pensées, une de mes actions : le mensonge ou la dissimulation me sont impossibles. Si je croyais devoir, en un cas extrême, recourir aux avis de notre ancien ami, je le ferais ouvertement ; mais alors, je blesserais M. Dumirail, qui, à tort ou à raison, à tort, à grand tort selon moi, a rompu tous rapports avec un homme excellent, qui nous a donné tant de preuves d’intérêt. Or, pour me résoudre à causer à mon mari un chagrin réel, il faudrait me trouver en face de circonstances qui, je l’espère, ne se produiront pas.
— Puissiez-vous, ma tante, ne pas regretter votre résolution ! Quelle doit être l’inquiétude, la tristesse de M. Charles Delmare en reconnaissant l’inutilité d’un voyage dont le but était si généreux ?
— Sans doute ; mais je t’ai dit ma répugnance à cacher à ton oncle la plus insignifiante de mes actions ; ainsi, par exemple, il m’avait recommandé d’aller, dès le lendemain de notre arrivée, voir ma belle-sœur, afin de lui apprendre que Maurice entrait dans la carrière diplomatique ainsi qu’Albert, et…
Mais madame Dumirail, s’interrompant en voyant Jeane tressaillir involontairement :
— Qu’as-tu, mon enfant ? — dit-elle.
— Rien, ma tante, — répondit la jeune fille n’osant, ne voulant exprimer l’effroi que lui inspirait la seule pensée de revoir San-Privato, à l’influence de qui elle croyait échapper pour toujours lorsqu’il avait quitté le Morillon.
— Je disais donc que, si j’ai cru devoir ajourner ma visite à ma belle-sœur, malgré les recommandations de mon mari, je l’en ai prévenu, parce que j’ai l’habitude de ne lui rien cacher.