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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/315

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lorsque la pensée à laquelle vous vous livrez a pour vous si peu de charme et d’empire, qu’elle est subordonnée à l’aspect des objets extérieurs, une pareille promenade est pitoyable !

— Jeane, — reprit Maurice, — je ne sais ce que tu as aujourd’hui, mais tes paroles sont parfois d’une sécheresse…

— Tu me demandes mon avis, je te le donne ; si je t’ai fâché, excuse-moi.

— De grâce, mes enfants, pas d’aigreur entre vous, sinon vous m’affligerez beaucoup, — dit madame Dumirail. — Quant à ton objection, Maurice, je répondrai que, lorsque nous vivions au Morillon, tu trouvais tes plaisirs, tes distractions dans notre vie de famille, dans le dessin, la lecture, la promenade, la chasse ; or, à l’exception de la chasse, je ne vois pas pourquoi les distractions qui te suffisaient au Morillon ne te suffiraient pas à Paris, mon ami.

— C’est que Paris, bonne mère, n’est pas le Morillon.

— Cela va sans dire.

— C’est qu’à Paris, une foule de plaisirs vous sollicitent, et en cela, chère mère, — ajouta Maurice se rappelant les paroles de madame de Hansfeld, — je parle des plaisirs décents, honorables, qui satisfont le cœur et l’esprit, et non de ces plaisirs dangereux, dégradants, dont Paris fourmille ; ceux-là, je les fuirai toujours avec dégoût ; mais tu trouveras bien naturel que je désire les plaisirs que goûtent les gens bien élevés.

— De quels plaisirs veux-tu donc parler, mon ami ?

— Que sais-je ?… l’Opéra… les Italiens… une promenade à cheval aux Champs-Élysées…

— L’Opéra !… les Italiens ! — répéta madame Dumirail avec un ébahissement naïf ; — ah çà ! mon pauvre enfant, est-ce qu’au Morillon nous avions l’Opéra, les Italiens, les Champs-Élysées ?

— Mais, encore une fois, chère mère, nous ne sommes plus au Morillon, nous sommes à Paris.

— Eh bien ! est-ce que, moi et Jeane, nous sentons le besoin d’aller à l’Opéra ou aux Italiens pour passer nos soirées ?

— Que voulez-vous, ma tante ! nous avons le malheur de n’être pas initiées, comme paraît l’avoir été récemment, tout récemment, Maurice, aux brillantes nécessités de la vie parisienne, — reprit Jeane avec une amertume croissante, car elle pressentait l’influence de madame de Hansfeld dans l’expression des désirs mondains manifestés par Maurice.

Celui-ci, impatienté, irrité de la pénétration et des sarcasmes de sa fiancée, se contint cependant, et madame Dumirail, s’adres-