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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/33

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Tout dans la demeure de M. Dumirail annonçait l’aisance, la simplicité, le bon goût ; l’on devinait aisément que la famille qui habitait continuellement cette paisible et riante retraite y concentrait sa vie, ses jouissances et ses désirs. Une allée tournante conduisait du jardin aux vastes et nombreux bâtiments d’exploitation, presque aussi peuplés qu’un petit hameau, séparés de la maison par un superbe verger en plein rapport et par un potager non moins soigneusement entretenu que le parterre ; deux larges routes empierrées, dont l’une descendait dans la vallée et dont l’autre montait, sinueuse, de rampe en rampe, à travers les bois, jusqu’aux plateaux les plus élevés des prairies, aboutissaient à l’hémicycle qui précédait la cour de la ferme ; elle formait un vaste parallélogramme, entouré de bâtiments où se trouvaient la vacherie, la bouverie, la bergerie, l’écurie, la laiterie, le cellier, les granges… L’une de celles-ci attendait la récolte du foin des plateaux ; on la rentrait en hâte, car le ciel orageux se couvrait de nuages de plus en plus sombres ; le vent, précurseur de la pluie, commençait à s’élever ; mais, grâce à la joyeuse activité imprimée aux travaux des faneurs et des faneuses par la présence de madame Dumirail et de Jeane, sa nièce, les derniers chariots traînés par les bœufs venaient de descendre de la montagne et de s’arrêter devant la porte de la grange. Cette scène offrait à l’œil, ainsi que l’avait dit Maurice à Charles Delmare, un tableau d’une grâce rustique.

Chaque attelage de bœufs était garanti des piqûres des mouches par de grandes ramées de hêtre, dont le vert feuillage caressait les flancs robustes des paisibles animaux, ou se balançait au-dessus de leur large front, docilement courbé sous le double joug. Les faneurs, grimpés au faîte des chariots, en dévalaient de haut en bas, sur le sol de la cour, des monceaux de verdure fleurie et parfumée, que les faneuses rentraient gaiement dans la grange. M. et madame Dumirail, assis sur un banc, encourageaient par de cordiales paroles travailleurs et travailleuses. Parmi celles-ci, et s’amusant fort de cette champêtre besogne, Jeane Dumirail maniait de son mieux son râteau de bois blanc, tandis que Maurice, prenant la chose au sérieux, avait mis bas sa blouse, et, grâce à sa vigueur d’athlète, soulevait au bout de sa fourche d’énormes masses d’herbe et, à bras tendu, les lançait dans la grange, apportant à ce travail cette exubérance de force, cette activité violente, inséparable de sa puissante organisation physique. En vain madame Dumirail lui disait :

— Maurice, tu es en nage, tu vas te briser de fatigue… Tu es