Aller au contenu

Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/343

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

peut-être, me donnaient à penser que la hardiesse de votre esprit égalait…

— Tenez, Jeane, — reprit San-Privato interrompant sa cousine, — parmi vos qualités, il en est une que j’admire entre toutes : c’est votre franchise ; soyez donc sincère… Je vous ai inspiré un attrait passager ; vous l’avez dominé ; il n’existe plus, vous ne m’aimez pas, vous ne pouvez m’aimer, vous ne m’aimerez jamais ; à quoi bon ces adorables coquetteries, chère cousine ? À m’abuser par une fausse espérance ? à me faire croire qu’un jour vous pourrez m’aimer ? Non, non, et, selon mon habitude, je lis dans votre cœur plus clairement que vous n’y lisez vous-même.

— Et que lisez-vous, s’il vous plaît, dans mon cœur ?

— Vous aimez toujours Maurice.

— Juste ciel !

— Vous aimez toujours Maurice, ma pauvre Jeane !

— Vous me croyez donc bien lâche ?

— Je vous crois aussi lâche qu’il est possible de l’être en amour… aussi lâche que je l’étais, moi qui vous aimais malgré moi, malgré les dédains, les outrages dont vous m’accabliez au Morillon.

— Je vous le répète, Albert, — reprit Jeane pouvant à peine se contenir, — je serais la dernière des femmes si j’aimais encore Maurice.

— Eh bien, pour parler votre langage, ma pauvre cousine, vous êtes la dernière des femmes.

— Moi, l’aimer encore ! s’écria Jeane poussée à bout par les contradictions calculées d’Albert ; — mais vous ne savez donc pas de quoi je serais capable pour me venger si…

Jeane se tut, reculant d’épouvante devant la pensée qui surgissait dans son esprit. Madame Dumirail, en ce moment, rentrait éperdue, sanglotant et s’écriant :

— Plus d’espoir ! plus d’espoir !