— Je le crois, car il m’a écrit qu’il serait ici presque en même temps que nous.
— Où demeure-t-il ?
— Je l’ignore. Il m’a prié de lui adresser mes lettres poste restante.
— Écrivez-lui sur l’heure ; engagez-le à se rendre chez vous le plus tôt possible, et, lorsqu’il sera en votre présence, dites-lui soudain, sans transition, en le regardant en face : « Monsieur Charles Delmare, on vous accuse d’avoir tué en duel mon beau-frère, alors que vous portiez le nom de Wagner. Jurez-moi votre parole d’honneur que le fait est faux, je vous croirai. » Or, ma tante, vous entendrez la réponse de M. Delmare, il n’osera nier ce dont je l’accuse.
— S’il en est ainsi, de ma vie je ne reverrai cet homme, coupable d’une si opiniâtre et si noire hypocrisie !
— Un mot encore, ma tante : si M. Delmare avait l’audace… car tout est possible… s’il avait, dis-je, l’audace de nier ce que j’affirme, je vous prouverais de la manière la plus évidente qu’il ment effrontément, et qu’il est bien, hélas ! Jeane, le meurtrier de votre père.
— Je vais écrire sur-le-champ à M. Charles Delmare, — dit madame Dumirail en se levant ; — je mettais en lui ma dernière espérance pour le salut de mon fils. S’il me faut y renoncer, j’y renoncerai ; mais alors que faire, que devenir en attendant l’arrivée de mon mari ? Ah ! je le sens, je n’aurai jamais la force, le courage de lutter contre tant d’angoisses ; je n’y survivrai pas !
Madame Dumirail sortit en proie à une douloureuse agitation, laissant Jeane seule avec San-Privato.