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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/359

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Jeane : vous plaire tout d’abord et devenir l’objet de votre premier amour, ou bien vous déplaire d’abord et ensuite chasser de votre cœur un rival, j’aurais préféré ce dernier bonheur.

— Pourquoi cette préférence ?

— Parce qu’il est plus facile, mais moins flatteur, de séduire un cœur innocent de tout amour que de triompher d’une passion déjà profondément enracinée.

— Ainsi, l’amour que j’ai éprouvé pour Maurice n’eût pas été un obstacle à votre désir de m’épouser si vous eussiez été encore épris de moi ?

— Loin de là, Jeane, ce mariage eût à la fois comblé mon amour et mon orgueil.

— Voyez un peu pourtant !… Si cette passion irrésistible dont vous me faisiez l’aveu l’autre jour, entre le ciel et l’abîme, en un péril de mort ; si cette passion qui devait vous survivre et lier nos âmes pour l’éternité devant Dieu… si cette passion sans fin, dis-je, eût seulement duré ce qu’il faut de temps à une rose pour naître, vivre et mourir, je pouvais espérer devenir madame San-Privato.

— Vous raillez… mais, que voulez-vous, Jeane ? à qui éteint le foyer, cendres froides !

— Et à qui le rallume, flamme ardente, n’est-il pas vrai, Albert ?

— Certes…

— De sorte que, si je vous aimais, votre passion pour moi renaîtrait ?

— À quoi bon cette question ? Vous ne m’aimerez jamais.

— Qui sait ?

— Moi, Jeane, je ne le sais que trop.

— Et si, quelque jour, je vous prouvais votre erreur ?

— Je vous l’ai dit, vous ne me prendrez pas au piège de votre coquetterie, si enchanteur qu’il soit.

— Enfin, Albert, si de cet amour je vous donnais une preuve…

— Laquelle ?

— L’offre de ma main…

— Oh ! alors, Jeane, je croirais à votre amour, j’y croirais aveuglément, parce que vous êtes de ces femmes qui ne sauraient se donner âme et corps sans amour.

— Tenez, Albert, entre autres idées étranges qui me viennent de… je ne sais d’où… de vous… peut-être… il me semble que notre mariage n’eût pas été un mariage vulgaire.

— Oh ! combien de fois ce rêve…

— Achevez !

— Eh bien ! oui, Jeane, il fut un jour, le premier jour que je