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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/38

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V


Nous achèverons en quelques mots de faire connaître au lecteur {{M.|et} madame Dumirail. Celui-ci, âgé d’environ vingt ans de plus que sa femme, qui atteignait alors sa quarantième année, s’était tardivement marié. D’abord résolu à rester célibataire, parce que, aimant passionnément l’agriculture et la vie retirée, il savait qu’un petit nombre de femmes peuvent se résoudre à séjourner constamment à la campagne, et que celles qui acceptent cette situation s’y résignent de si mauvaise grâce, que les continuels ressentiments de leur ennui attristent ou révoltent leur mari, selon la nature de son caractère, et rendent souvent ainsi la vie commune intolérable.

Lors de l’un des voyages qu’il faisait à Genève pour le placement des produits de son domaine, M. Dumirail rencontra plusieurs fois, chez le marchand de bois qui lui achetait les coupes de ses futaies, la nièce de ce négociant, jeune femme de vingt ans à peine, veuve d’un riche cultivateur du pays de Vaud. Elle était sinon belle, du moins très-attrayante ; on lisait sur sa physionomie ouverte, intelligente et douce, la droiture de son esprit, la bonté de son cœur, le charme de son caractère. Cette jeune femme causa une vive impression à M. Dumirail. Elle était orpheline, veuve, sans enfants ; son patrimoine lui assurait une grande aisance. Cette dernière considération influa beaucoup sur les projets de mariage de M. Dumirail, non qu’il fût cupide, tant s’en fallait ; mais il pensait sagement que, si la jeune veuve, malgré la disproportion des âges, consentait à l’épouser, à partager sa retraite et ses goûts, elle saurait à quoi elle s’engageait et agirait librement, puisque les biens qu’elle possédait lui permettaient de choisir un époux à son gré ou de vivre indépendante.

M. Dumirail, homme loyal, pénétré de ses devoirs et certain de les dignement accomplir, adressa ses offres de mariage à la jeune veuve. Celle-ci, appréciant comme elle devait l’être la valeur morale de M. Dumirail et trouvant toutes les garanties de bonheur