— Diable de Dorneville ! — reprit l’un des convives ; — il est vraiment déplorable de voir des gens comme lui, ruinés. Il entend si bien la vie, le grand luxe et l’exquise élégance !
— Moi, je déclare qu’un pays vraiment civilisé allouerait à Dorneville une pension de cinq à six cent mille francs, en l’obligeant de tenir une école de luxe modèle, afin d’apprendre aux jeunes gens à se ruiner, du moins avec goût et discernement.
— Vous rappelez-vous le dernier attelage qu’a eu Dorneville, son curricle à pompe[1] ?
— Je n’ai rien vu de plus complet, de plus ensemble, de plus admirable, que ces deux chevaux noirs !
— Parbleu ! ils avaient coûté, à Londres, neuf cents guinées chez Tatersall ; je le tiens de Tatersall lui-même.
— Mes très-chers, nous parlons de beaux chevaux. Qui de vous a vu chez Moïse un ravissant hack bai doré ?… Je ne connais pas à Paris de plus joli cheval de promenade.
— M. Dumirail est l’heureux possesseur de cette charmante monture, à ce que m’a dit Moïse, — reprit l’un des convives, — et il a aussi acheté un cheval de suite non moins remarquable !
— Bravo ! monsieur Dumirail, vous êtes un fin connaisseur !
— Voilà, pour un débutant, un commencement d’écurie qui promet !
— Ah ! messieurs, — répondit Maurice avec modestie, quoique enchanté de son succès hippique, — je tâcherai, pauvre provincial que je suis, de mériter vos encouragements…
— Tous les débuts de Dumirail sont et doivent être, ce me semble, fort heureux, — reprit avec un sourire significatif madame de Hansfeld ; — car il a eu pour parrain et marraine le bon goût et la bonne grâce. Ainsi, en amitié, il a débuté par conquérir l’estime et l’affection de ce cher M. d’Otremont, qui, ce soir, rêve sans doute à ses amours, car c’est à peine s’il prend part à notre entretien, et paraît étrangement préoccupé.
— Vous me faites trop d’honneur, madame, de songer à moi, — répondit d’une voix contenue Richard d’Otremont en proie à une violente lutte intérieure ; — je suis, en effet, fort préoccupé.
— Peut-on, sans indiscrétion, cher monsieur d’Otremont, de cette préoccupation connaître la cause ?
— Cette cause est fort simple, chère madame : c’est la question de savoir quelle limite peut atteindre la patience humaine.
— Oh ! s’il en est ainsi, je serais aux regrets de troubler vos
- ↑ Cabriolet à timon, attelé de deux chevaux de front.