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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/387

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— Je serai trop heureux, messieurs, d’être des vôtres, — répondit Maurice, — car j’aime passionnément la chasse.

— En ce cas, monsieur Dumirail, il faudra que vous fassiez aussi partie de notre tir aux pigeons ?

— Et, si vous voulez profiter de la place vacante que le départ de Nerval laisse dans notre loge d’avant-scène à l’Opéra, mon cher monsieur Dumirail, nous vous recevrons avec grand plaisir parmi nous, en vous faisant remarquer que les locataires des loges d’avant-scène jouissent de l’inappréciable avantage d’avoir leurs entrées sur le théâtre et dans le foyer de la danse.

— Le foyer de la danse ! ce véritable paradis de Mahomet, ce lieu envié du vulgaire, où pullullent les plus séduisants des rats

Et, remarquant l’ébahissement de Maurice, le convive ajouta :

— Le rat d’Opéra est une espèce de rongeur particulière à cette localité, il est à deux pieds…

En un mot, cher monsieur Dumirail, afin de vous expliquer cette énigme, on appelle rats, en argot de coulisse, les jeunes comparses, lorsqu’elles atteignent l’âge de quinze à seize ans. Il y en a de bien charmantes, ainsi que vous le verrez, cher monsieur Dumirail, et…

— Messieurs, j’en suis désolé pour vous et pour les rats, — reprit madame de Hansfeld, — mais M. Maurice a bien voulu accepter une place dans ma loge à l’Opéra, et j’ai la prétention de croire que ni vous, ni tous les rats du monde ne me le ravirez. Oh ! je saurai vaillamment défendre ma conquête !… — ajouta madame de Hansfeld en souriant et versant une nouvelle rasade de vin de Champagne à Maurice.

Celui-ci, honteux du silence qu’il avait jusqu’alors gardé, fit un suprême effort afin de vaincre sa timidité, puisa dans sa naissante ivresse une certaine assurance, se dressa debout, leva vers le plafond la coupe de cristal remplie par Antoinette, et, lui jetant un regard passionné, s’écria :

— Messieurs, je bois à l’amour ! je bois au bonheur de ceux qui sont assez heureux pour posséder une belle maîtresse ! je bois à vous, ô grands docteurs en l’art de bien vivre, c’est-à-dire de jouir… car à quoi bon vivre, sinon pour jouir ?

— Bravo ! monsieur Dumirail ! crièrent les convives, — bravo ! vous êtes digne d’être reçu membre de la joyeuse confrérie des viveurs !

— J’en accepte le trop flatteur augure, messieurs, et je termine mon toast en buvant à Paris ! — poursuivit Maurice de