Aller au contenu

Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/395

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

vindicative acrimonie de Jeane, qui, loin de témoigner quelque indulgence pour l’égarement de son fiancé, s’était montrée hautaine, sardonique, impitoyable. Enfin, madame Dumirail, faisant appel à la clémence de son mari et excusant de son mieux les fautes de Maurice en les attribuant à la jeunesse, à l’inexpérience et surtout à la puissance des tentations qui étaient, pour ainsi dire, venues le chercher, reconnaissait cependant que l’exemple du passé ne permettait plus d’espérer que Maurice eût le courage de résister aux occasions de faillir, si fréquentes à Paris ; aussi, en mère prudente et sage, elle concluait au prompt départ de la famille pour sa chère retraite du Jura.

M. Dumirail, au grand étonnement et à la vive inquiétude de sa femme, l’avait écoutée impassible et sans même l’interrompre par les exclamations de surprise ou d’indignation que devait, selon elle, provoquer le récit des désordres de Maurice ; elle eût préféré l’expansion de la colère de son mari à ce calme muet qui lui semblait plus redoutable que l’emportement ; aussi ajouta-t-elle, en manière de péroraison :

— Je t’ai dit, mon ami, la vérité, toute la vérité. Tu es instruit maintenant de la désolante ingratitude de notre nièce et des désordres de notre fils ; mais nous ne devons pas désespérer de le ramener à nous et au bien… Puisse ton silence ne pas cacher des projets d’impitoyable sévérité ; j’ai été la première à accuser notre fils près de toi ; mais j’invoquerais ta clémence, ton équité, si la peine que tu lui réserves, peut-être, outre-passait la gravité de la faute ; enfin, quoi qu’il arrive, tu es, j’en suis certaine, persuadé, comme moi, qu’il faut retourner au Morillon le plus tôt possible, et, grâce à Dieu, nous n’en sortirons plus.

Madame Dumirail, on le voit, évitait avec infiniment de tact, de prudence et de générosité, toute récrimination relative au passé, pensant que son mari souffrait beaucoup du cruel retour que les événements devaient le forcer de faire sur lui-même ; elle s’abstenait de lui rappeler, même par allusion, qu’il avait, par son opiniâtre volonté d’envoyer Maurice à Paris, causé les malheurs dont tous deux avaient à gémir. Minuit sonnait au moment où madame Dumirail prononçait ces derniers mots :

— Il nous faut retourner au Morillon, et, grâce à Dieu, nous n’en sortirons plus.

Puis elle ajouta en entendant le tintement de la pendule :

— Déjà minuit ! Maurice n’est pas encore rentré ; j’espère pourtant que de nouveau il ne découchera pas, et…

Mais s’interrompant, frappée d’une idée subite, madame Dumi-