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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/409

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Maurice, à l’aspect de son père, dont il ignorait l’arrivée à Paris, éprouva une profonde commotion qui, sans le dégriser complétement, lui rendit du moins la connaissance de soi-même, des lieux et des personnes. Malheureusement Maurice avait, ainsi que l’on dit vulgairement, le vin mauvais, et la présence de ses parents, en éveillant vaguement en lui la conscience, sinon le repentir de sa dégradation actuelle, l’irrita profondément contre ceux qui le surprenaient dans cet état honteux, et, encore alourdi par l’ivresse, il appuya pesamment ses larges épaules à la muraille, afin de conserver son équilibre, croisa ses bras sur sa poitrine, et, d’un air de bravade, il dit d’une voix rauque :

— Eh bien ! c’est moi… Je suis gris… et voilà !…

Afin de s’imaginer la douloureuse stupeur de M. et madame Dumirail à l’aspect de Maurice, il faut se représenter celui-ci dans la hideur repoussante de l’ivresse : sa chemise et son gilet presque en lambeaux, sa cravate tordue en corde, son habit, son pantalon déchirés en plusieurs endroits, sa chevelure en désordre, les traits livides, l’œil farouche, fixe, hébété, la lèvre tombante ou contractée par une sorte de rictus bestial ; tandis que son corps athlétique cherchait en vain son équilibre, quoique adossé à la muraille. Madame Dumirail, d’un regard d’une muette et navrante éloquence, sembla dire à son mari : « Votre optimisme résistera-t-il à tant d’abjection ? »

M. Dumirail, atterré, eut enfin conscience de la funeste aberration où le jetait son faux orgueil paternel, et, plus impressionné par le spectacle de la dégradation physique de son fils qu’il ne l’eût été peut-être par sa dégradation morale, il baissa les yeux devant le regard de sa femme ; puis, cédant à un mouvement d’indignation et de colère inopportunes, en cela que son fils, jouissant à peine de sa raison, devait être indifférent aux remontrances paternelles ou s’en irriter, il s’écria :

— Misérable !… osez-vous vous présenter ainsi à nos yeux ?

— Eh bien ! quoi donc ? — répondit arrogamment Maurice, s’efforçant de redresser sa tête alourdie et écarquillant ses paupières clignotantes ; — oui, je suis soûl… et puis… après ?

— Mon ami, il faut le conduire à sa chambre à coucher. Il ne jouit pas de sa raison, il est même incapable de comprendre tes reproches, — reprit sagement madame Dumirail.

Et, s’adressant à son fils d’un ton sévère :

— Suivez-moi, rentrez dans votre chambre…

— Je rentrerai dans ma chambre si ça me plaît, et, comme ça ne me plaît pas… je n’y rentrerai pas !… — répondit Maurice avec