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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/429

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vas-tu me coûter mon fils après m’avoir coûté mon frère ?… Oh ! son meurtrier, ce Delmare ! combien il triompherait maintenant de me voir forcé d’avouer la justesse de ses sinistres prévisions et de ses arrogants conseils ! Ah ! malgré moi, je ressens une satisfaction cruelle de pouvoir poursuivre cet homme d’une haine légitime, implacable, et à ne voir en lui que le meurtrier de mon frère !

M. Dumirail prononçait ces derniers mots, lorsque Charles Delmare entra précipitamment dans le salon.

À l’aspect de Charles Delmare, auquel il avait défendu sa porte, M. Dumirail, déjà profondément aigri, ulcéré par le chagrin, par les craintes que lui causait le danger que courait son fils, se sentit possédé d’une colère furieuse, et, la figure livide, contractée, les poings fermés, il s’élança menaçant vers Charles Delmare, et, d’une voix tremblante de rage :

— Que venez-vous faire ici ?

— Je viens…

— Votre présence ici, monsieur, est pour moi une insulte, un défi !

— Oubliez un moment le…

— Sortez !…

— Monsieur…

— Sortez… ou sinon !

— Écoutez-moi !

— Oh ! prenez garde, monsieur Delmare !

— Il s’agit de…

— Sortiras-tu, — s’écria M. Dumirail l’écume aux lèvres, — sortiras-tu, assassin !

— Je vous en conjure, écoutez-moi, dans l’intérêt de…

— Mais, misérable, tes mains sont rougies du sang de mon frère ; tu veux donc que je le venge, que je te tue ! — s’écria M. Dumirail hors de lui, et saisissant une chaise dont il menaça la tête de Charles Delmare…

Celui-ci, conservant son sang-froid, enleva la chaise des mains de M. Dumirail, en lui disant d’une voix brève et hâtée :

— Maurice doit se battre aujourd’hui !… je connais son adversaire. Il est redoutable… Je sors de chez lui ! Il faut sauver la vie de votre fils… J’en ai le moyen ; m’écouterez-vous maintenant ?

M. Dumirail répondit pour ainsi dire par un tressaillement involontaire de surprise et d’espérance à chacune des paroles de son ancien ami, et l’humiliation, la haine que lui inspirait la présence