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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/434

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madame San-Privato. — Ah ! mon fils ne cause pas seul mes chagrins… et…

M. Dumirail s’interrompit à la voix de Josette, qui, rentrant de nouveau, lui dit :

— Madame s’inquiète de ce que monsieur ne vient pas ; elle veut absolument lui parler tout de suite.

— Mon Dieu ! aurait-elle quelque soupçon sur ce duel ? Ah ! je tremble !

Et, s’adressant à Charles Delmare :

— Je ne sais encore si je dois consentir à ce que mon fils affronte les chances de ce combat, malgré votre promesse ; attendez-moi… Je vous ferai connaître ma résolution. Ah ! ma tête est un chaos ; je perdrai la raison ! — murmura M. Dumirail sortant éperdu sur les pas de Josette.

Charles Delmare, ignorant le départ de Jeane, ainsi que l’ignorait Maurice, alla le rejoindre, car, en continuant de s’intéresser à celui qui, peu de temps auparavant, l’appelait son cher maître, c’était encore pour Delmare s’intéresser à Jeane, persuadé que les deux jeunes gens s’aimaient toujours, malgré les torts de l’un et les récriminations de l’autre, et que tous deux pouvaient trouver leur salut dans le mariage projeté.

Maurice s’était réveillé la tête appesantie, mais l’esprit lucide. Bientôt sa mémoire lui retraça les principaux événements de la veille et de la nuit : son souper à la Maison-d’Or, sa dispute avec Richard d’Otremont au sujet de madame de Hansfeld, les provocations échangées ensuite de cette dispute, et enfin cette funeste scène pendant laquelle il avait vu sa mère tomber sanglante à ses pieds… Ce souvenir le navra ; mais bientôt il songea que les témoins de M. d’Otremont pouvaient venir d’un moment à l’autre, ou que peut-être même ils étaient déjà inutilement venus. Il se vêtit en hâte, voulut sortir, trouva sa porte fermée, frappa, appela Josette, et bientôt il vit, avec autant d’étonnement que de honte et de remords, entrer chez lui Charles Delmare. Celui-ci tressaillit en remarquant les rapides changements opérés dans l’expression de la physionomie de Maurice. Ses traits pâlis, marbrés par les suites de l’orgie de la veille, accusaient déjà d’amers ressentiments et le sourd ravage des passions mauvaises. Charles Delmare contemplait avec une silencieuse tristesse ce jeune homme que naguère il avait connu loyal, pur, enjoué, candide, et surtout si heureux de sa vie riante et agreste, rehaussée par la culture des arts et des lettres, poétisée par l’intelligente admiration des beautés de la nature.

— Vous voici, monsieur Delmare ? — dit enfin Maurice sur-