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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/440

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— Cependant il faut de l’argent, beaucoup d’argent, pour jouir de ces plaisirs dont vous êtes si avide.

— Je ferai des dettes.

— Payables à la mort de votre père ?

— Cela est triste, et, à cette pensée, mon cœur se serre ; mais cela est fatal !

— De sorte que, le jour où vous hériterez de votre patrimoine, il sera presque entièrement dissipé d’avance ; ses débris ne dureront guère ; ensuite de votre ruine complète, que devenir ?

— Je me brûlerai probablement la cervelle, ainsi qu’autrefois vous vouliez le faire, mon cher maître ; car j’ai la prétention de croire que je ne me dégraderai jamais jusqu’aux actions basses, honteuses ou criminelles.

— Qu’en savez-vous, Maurice ?

— Je suis, quant à cela, sûr de moi.

— Vous croyiez aussi être sûr de vous-même, lorsque vous disiez : « Laboureur je suis né laboureur je mourrai… » Voyez cependant quel chemin vous avez fait en si peu de temps ?

— C’est vrai, j’ai été vite, très-vite.

— Il existe donc quelque chance pour que, de la ruine, vous tombiez dans la misère, et, de la misère, dans le vice, dans l’opprobre, dans le crime peut-être.

— En effet, c’est une chance !

— Et la pensée de cette terrible chance ne vous épouvante pas, pauvre enfant ?

— En ce moment, oui, cela m’attriste, cela même m’effraye… mais pourquoi ? Parce que je suis dans une disposition d’esprit particulière. Mais, si je survis à ce duel, je ne songerai plus qu’au plaisir, à ma belle et ardente maîtresse, à mes chevaux, à l’Opéra, aux gais soupers, à toutes les élégances d’une vie raffinée.

— Vous devriez peut-être aussi songer que votre mère, dont la santé est déjà fortement ébranlée, mourra de chagrin. Vous me répondrez peut-être que vous hériterez d’elle. C’est, n’est-ce pas, une consolation ?

— De grâce ! — reprit Maurice l’œil humide, — ne parlez pas ainsi, je m’attendrirais.

— Tant mieux !

— Tant pis ! cher maître, tant pis ; vous me prendriez pour un hypocrite !

— Quoi ! pauvre enfant, ces larmes que je vois en ce moment rouler dans vos yeux… ?