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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/47

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bitude si bienveillant. — J’en jure Dieu ! sans les prières, sans les larmes de ma femme… je partais pour la Suisse… afin d’aller venger la mort de mon frère… ou de périr !

— Grâce à Dieu, j’ai pu détourner mon mari de son funeste dessein ! — ajouta madame Dumirail ; — notre famille aurait eu peut-être deux malheurs à déplorer au lieu d’un !

― Ce qui rendait mon chagrin plus affreux, ma soif de vengeance plus légitime, — reprit M. Dumirail, — c’est que mon frère recevait la mort de la main du séducteur de sa femme ; car, sachez-le bien, mon ami, la mère de Jeane, qui, depuis deux années de mariage, donnait l’exemple des plus touchantes vertus, avait cédé à un inexplicable moment d’égarement : démentant son passé, jusqu’alors irréprochable, elle succombait à une détestable séduction. Mon frère, instruit de son déshonneur, provoqua ce Wagner. Dans ce duel, Ernest fut frappé à mort, après avoir blessé grièvement son adversaire.

— Ah ! malheur à moi !… Si M. Dumirail apprenait que je suis le meurtrier de son frère, je serais à jamais séparé de ma fille, sans espoir, sans moyen de me rapprocher d’elle ! — pensait Charles Delmare avec épouvante.

Et il ajoutait tout haut :

— Espérons, mon ami, qu’un jour l’oubli…

— L’oubli ! — répondit M. Dumirail. — Est-ce que la présence de Jeane, innocente enfant, irresponsable des désordres de sa mère… ne nous rappelle pas sans cesse que cette malheureuse femme a, par son inconduite, causé le meurtre de mon frère ?

— Monsieur Delmare, — reprit madame Dumirail, — nous vous confions ces tristes détails parce que, plus que jamais, nous avons besoin des avis de votre amitié, aussi dévouée qu’éclairée. Telle est la question : Dans l’éventualité d’un mariage, maintenant presque certain, devons-nous instruire Maurice de l’inconduite de la mère de Jeane, ou épargner à notre fils cette pénible révélation ?

— Quoi ! madame, vous hésiteriez à la lui épargner ?

— Permettez, monsieur Delmare, nous lui cacherions ce triste secret si nous avions la certitude que Maurice l’ignorera toujours. Madame Dumirail mérite au moins autant d’être plainte que d’être blâmée… car, du moins, elle a noblement expié sa faute, en vivant jusqu’à la fin de ses jours dans une solitude absolue, sans mériter, dit-on, un seul reproche ; mais, malheureusement, Maurice peut apprendre d’ailleurs ce dont nous lui ferions un secret ; et, s’il épouse sa cousine, n’aura-t-il pas le droit de nous reprocher un jour, comme un manque de confiance, notre silence sur