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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/501

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Il ne se trompait pas. Jeane entra dans la mansarde, et Geneviève, radieuse, à demi suffoquée par la joie, sortit en disant à Delmare, afin de ne pas gêner l’épanchement de sa tendresse paternelle :

— Ta fille nous revient, c’est signe que nous partons. Je cours à la diligence de Nantua retenir trois places pour demain. Dieu soit loué ! nous ne ferons pas maintenant de vieux os à Paris !

Le père et la fille, aussitôt après la sortie de Geneviève, se jetèrent dans les bras l’un de l’autre sans prononcer une parole, et se tinrent longtemps embrassés. Le morne silence de la mansarde fut troublé par des sanglots, par des soupirs, par des exclamations, par des éclats de joie indicible, mêlés de mots entrecoupés. Il est impossible de retracer fidèlement une pareille scène ; mais l’on peut se l’imaginer en songeant au tendre attachement que Jeane éprouvait déjà pour son cher maître, alors qu’au Morillon elle le voyait chaque jour dans une étroite intimité. Cependant la joie de la jeune fille était mêlée d’amertume : elle retrouvait son père, mais elle apprenait en même temps le déshonneur de sa mère, pour qui elle avait jusqu’alors ressenti une vénération profonde. Rien ne troublait, au contraire, en ce moment le bonheur de Charles Delmare. On comprendra son ivresse, si l’on se rappelle les angoisses dont il était bourrelé quelques instants auparavant, en se demandant si son suprême appel serait entendu de son enfant.

Delmare, après la première expansion de ses sentiments depuis si longtemps contenus, a fait asseoir sa fille, et, agenouillé devant elle, il prend ses mains dans les siennes, et, les yeux encore humides de ses larmes récentes :

— Enfin, ma Jeane, mon enfant, te voilà près de moi ! Tu ne me hais plus, tu m’aimes, puisque tu es venue ici. Oh ! oui, tu m’aimes, dis ?… N’est-ce pas que tu m’aimes ?…

— Bon père !

— Répète ces mots, je t’en prie, répète-les, ils sont si doux à mon oreille ! Pour la première fois, vois-tu, je les entends de ta bouche !

— Cher et bon père, oui, je vous aime !

— Vous ?… Oh ! ne dis pas vous… c’est si froid !

— Je t’aime, je t’aime, tendre père, je t’aime de toutes les forces de mon âme, toi maintenant mon seul ami, mon seul soutien en ce monde, toi qui, pendant trois ans, as dû tant souffrir de la contrainte que le devoir t’imposait ! Tu me chérissais comme ton enfant, et tu étais forcé de me traiter aux yeux de tous en