— Mon père, — s’écria Jeane en saisissant avec force Delmare par le bras et attachant sur lui un regard qui le glace, — tu crains, dis-tu, de devenir fou de joie ? Ah ! crains plutôt de devenir fou de douleur et de rage, lorsque tu vas apprendre pourquoi mon mariage avec Maurice est à jamais impossible. Nous avons pendant un moment oublié la réalité ; mais elle existe, hélas ! inexorable.
— Enfin, cette réalité, quelle est-elle ?… Mets un terme à ma torture !
— Mon père, Maurice serait là, devant moi à genoux, me disant : « Jeane, ma main est à toi ! » je lui répondrais la mort dans l’âme : « Je t’aime autant et plus que par le passé, Maurice, et cependant, si j’acceptais ta main, je serais une infâme… »
— Quel est donc cet affreux mystère ? — s’écrie Delmare, de qui les dernières espérances s’évanouissent, car il ne pouvait douter de la sincérité des paroles de sa fille ; — tu serais une infâme, dis-tu, si tu épousais Maurice ?
— Oui, je dis cela, mon père, et il en est ainsi…
— Mais la cause de cette infamie ? — reprend Delmare d’une voix tremblante.
Et il ajoute, remarquant de nouveau la soudaine pâleur de sa fille :
— Mon Dieu, voilà que tu redeviens plus pâle encore !
— Mon père, c’est que je pense à lui…
— À qui ?
— À l’homme que je dois épouser.
— À l’homme que tu dois épouser ? — répéta machinalement Delmare pouvant à peine croire ce qu’il entendait ; — que signifie ?…
— Cela signifie que je ne peux me marier avec Maurice, parce que j’épouse une autre personne.
— Qui cela ?
— Celui auquel je ne peux penser sans pâlir et sans frémir.
— Il me semble que je suis le jouet d’un rêve horrible, — balbutie Delmare.
Et il reprend :
— Qui est cet homme ?
— Ah ! je l’ai dit, tu es un pauvre malheureux père, et je suis encore plus à plaindre que toi.
— Réponds, quel est le nom de celui que tu dois épouser ?
— Tu vas trembler.
— Je tremble ; déjà je n’ai pas une goutte de sang dans les veines.