— Ah ! chère mademoiselle, vous parlez de marier le crime et la vertu ?… Est-ce que de pareilles noces se sont jamais vues ? est-ce que cet affreux homme ?…
— Laissons ce triste sujet, bonne mère ; et convenons des heures auxquelles, chaque jour, je te viendrai voir, cher père, — ajoute Jeane d’une voix tendre et caressante ; — ce sera ma seule consolation à la dissimulation forcée que je m’impose, en demeurant quelque temps encore chez ma tante San-Privato.
— Puisque nous devons, chère enfant, nous revoir chaque jour, — répond Charles Delmare, — je n’insisterai pas davantage, aujourd’hui du moins, sur l’objet de notre discussion, tout en regrettant, hélas ! que, dès après-demain, nous ne retournions pas dans notre solitude.
— J’y songe, — dit Geneviève, — ces maudits San-Privato vous laisseront-ils ainsi venir, pauvre chère demoiselle ?
— D’abord, bonne mère, vous m’avez promis de m’appeler votre Jeane…
— Ah ! mon Charles, — reprend Geneviève émue, — quel ange que notre Jeane !
— Soyez-en certaine, bonne nourrice, — poursuivit la jeune fille, — aucune volonté, aucune considération ne m’empêchera de venir voir chaque jour mon père.
— Ta tante est-elle instruite de la visite que tu me fais aujourd’hui, chère enfant, et du motif de cette visite ?
— Non ; mais, à mon retour, j’instruirai madame San-Privato de la vérité. Pourquoi lui cacherais-je que tu es mon père ? De cette révélation, elle conclura que je suis pour elle une étrangère ; peu m’importe ! Était-elle guidée par l’affection en m’offrant chez elle l’hospitalité ? — répond Jeane avec un sourire amer et jetant à Delmare un coup d’œil significatif. — Mon cousin ne s’étonnera pas davantage de ma détermination de venir chaque jour te voir, mon père.
— Mais cet homme ! — s’écrie soudain Delmare, comme s’il s’éveillait en sursaut, — il faudra pourtant que je le tue.
— Mon père, — reprend résolûment Jeane, — il n’est que deux moyens de se défaire d’un homme : le duel ou l’assassinat ; tu n’assassineras pas M. San Privato !
— Misère de Dieu ! — s’écrie Delmare ; — après son crime, qui me blâmerait ?
— Personne sans doute, sinon toi-même, mon père, parce que tu n’es pas un assassin.
— Assassin, non, mais justicier !