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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/527

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XXI


Six semaines environ se sont écoulées depuis la première entrevue de Jeane et de son père dans la mansarde de la rue Saint-Nicolas.

San-Privato et madame de Hansfeld devisent ensemble, retirés au fond d’un élégant appartement, lieu habituel de leurs rendez-vous ; Albert, afin de tenir secrète sa liaison avec Antoinette, ne paraissait jamais à l’hôtel du faubourg Saint-Honoré.

Le jeune diplomate, assis sur un canapé, le front appuyé sur sa main, semble profondément absorbé. Madame de Hansfeld, debout et immobile près de lui, le contemple avec une curiosité inquiète ; enfin, rompant timidement le silence :

— Albert, il y a un quart d’heure que tu es arrivé ici ; tu m’as à peine adressé quelques paroles. Cependant, durant le mois dernier, nos entrevues ont été bien rares ; je ne me plains pas, je ne me plains jamais ; tu ordonnes, j’obéis ; tu as fixé le jour et l’heure du rendez-vous d’aujourd’hui, je suis accourue. Ton silence, je te l’avoue, m’étonne ; je suis alarmée de la profonde altération de tes traits, devenus presque méconnaissables depuis la dernière fois que je t’ai vu, il y a trois semaines de cela.

— Ah ! c’est que, pendant ces trois semaines, j’ai beaucoup lutté, beaucoup souffert, — répond San-Privato sortant de sa rêverie, — et de cette lutte, de cette souffrance, tu vas savoir la cause et le résultat ; car là, tout à l’heure, silencieux et pensif, je pesais une dernière fois la résolution que je devais prendre : cette résolution est prise, irrévocablement prise. Maintenant, écoute-moi, Antoinette : tu as été la seule personne au monde à qui j’aie ouvert mon âme à peu près sans réserve, parce que j’ai la certitude de ton dévouement, de ta fidélité absolue ; tu ne te méprends pas sur la signification que j’attache au mot fidélité ?

— Nullement.

— J’ai, depuis un mois environ, manqué à mes constantes habitudes de confiance envers toi.