— Plus d’un million, — pensait Maurice, de nouveau en proie à une âpre convoitise, plus d’un million !
— J’ai souvent, depuis longtemps, regretté, vous le savez, monsieur, que les agriculteurs instruits et au courant des progrès de la science moderne fussent si rares dans nos campagnes, faute d’une éducation et d’une instruction spéciale, — reprit M. Dumirail toujours impassible ; — je suis donc résolu de consacrer ma fortune à la fondation d’une ferme-école dans mon domaine du Morillon. Là, je ferai élever sous mes yeux une vingtaine de pauvres orphelins ; ils seront ma nouvelle famille… à moi qui n’en ai plus.
— Vous êtes, vous l’avez dit, mon père, maître absolu de vos biens, — reprit Maurice s’efforçant de paraître indifférent aux projets de son père, et regardant leur réalisation comme d’autant plus probable, qu’en effet M. Dumirail avait souvent déploré le manque d’agriculteurs instruits ; — vous pouvez disposer de vos propriétés comme bon vous semble.
— Ainsi ferai-je, monsieur. Les biens que vous auriez dissipés dans l’orgie assureront le pain du corps, le pain de l’âme et l’instrument de travail à d’honnêtes enfants du peuple. Ceux-là, j’en ai la conviction, n’attendant rien de moi après ma mort, ne calculeront pas avec une impatiente avidité les jours qui me restent à vivre, accorderont quelques larmes sincères à ma mémoire, et elle sera, je l’espère, vénérée par les générations d’orphelins qui se succéderont dans cet établissement agricole que j’aurai fondé à perpétuité.
— Vous avez sans doute le droit de me déshériter, mon père, — reprit Maurice avec un redoublement d’amertume ; — mais vous n’avez pas le droit de m’accuser d’être un fils sans entrailles !
— Je connais parfaitement mes droits. J’ai moralement celui de vous déshériter, monsieur, et, si la loi apporte quelques entraves à l’exécution de ma volonté, je saurai, soyez-en assuré, mettre mon utile fondation complétement à l’abri des réclamations judiciaires que vous pourriez soulever après ma mort. Il est pour cela des moyens infaillibles, je les emploierai. Un dernier mot, monsieur : Je vous ai dit que ma pitié pour vous ne prévoyait que trop votre ruine, peut-être prochaine ; s’il en est ainsi, si vous êtes un jour réduit à la dernière détresse, de mon vivant ou après ma mort, vous trouverez toujours, en vertu de l’une des clauses expresses de ma fondation, vous trouverez toujours, dis-je, au Morillon, la nourriture, le logis, le vêtement, rien de plus ; mais,