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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/567

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Ce mot seul est prononcé par M. Dumirail avec un accent de regret si poignant, que Maurice doit y voir un suprême appel à sa tendresse filiale.

— Est-il possible, monsieur ! — reprend Josette ; — vous partiriez sans M. Maurice ?

— Hélas ! je le crains ! — répond M. Dumirail d’un ton de doute navrant, qui permettait encore à Maurice de prendre une détermination salutaire.

Il en a un instant la pensée ; mais un sentiment de faux orgueil lui sert de prétexte pour résister à son heureuse inspiration ; son repentir, dit-il, paraîtrait calculé, afin de détourner son père de ses projets d’exhérédation. Mais, au vrai, Maurice recule devant la perspective de l’existence paisible et laborieuse qui l’attend au Morillon ; il la compare aux enchantements de Paris, aux plaisirs dont il peut si largement jouir, grâce à son héritage. Le souvenir de madame de Hansfeld achève d’étouffer dans l’âme de Maurice cette vague et dernière aspiration vers le bien. — Josette, malgré sa simplicité, pressentant la secrète pensée de M. Dumirail, dit au jeune homme en se rapprochant de lui :

— Monsieur Maurice, vous n’entendez donc pas monsieur ? Il s’en va. Est-ce que vous pouvez le laisser s’en aller tout seul ?

Maurice reste immobile, n’osant abaisser les mains dont il couvre son visage, de peur de rencontrer le regard de son père. M. Dumirail reconnaît la vanité de son dernier espoir, tressaille, lève au plafond ses yeux humides et désolés ; puis, s’éloignant :

— Adieu, fils sans entrailles !… vous ne me reverrez jamais… entendez-vous ? jamais ! car vous êtes à jamais perdu !

— Bonté divine ! monsieur, que dites-vous ? Ne vous en allez pas ainsi fâché ! — s’écrie Josette fondant en larmes et suivant son maître dans la pièce voisine, espérant le ramener.

Puis elle ajoute en se retournant :

— Monsieur Maurice, venez donc, joignez-vous à moi pour supplier votre papa de vous attendre !

Maurice est resté sourd à l’appel de Josette. Bientôt il se lève, s’approche de la fenêtre, prête l’oreille avec anxiété du côté de la rue où attendait le fiacre, et, entendant, au bout de quelques instants, le roulement de la voiture qui se perd dans le lointain, il semble éprouver un grand allégement, réfléchit et dit :

— Au pis aller, je reste avec cinq cent mille francs ; mais mon père ne se résoudra pas si facilement qu’il le dit à me déshériter. Courons chez Antoinette lui demander où demeure M. Thibaut,