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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/6

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— Pardi ! voilà-t-il pas le Pérou ? Tenir le ménage d’un homme seul ! surtout lorsqu’il est aussi facile à servir que toi… toujours bon, toujours avenant, toujours satisfait ; on dirait que tu es mon obligé… ma parole d’honneur ! et que tu n’as eu de ta vie d’autre domestique qu’une vieille mère Bobie comme moi ! tandis qu’autrefois, tu étais…

Geneviève n’achève pas sa phrase, étouffe un soupir et ajoute :

— Au fait ! il vaut mieux ne pas parler du passé. Enfin, voici tes comptes… le mois est fort… je t’en avertis… mon pauvre fieu… Ah ! dame, oui, attends-toi à un mois terriblement fort !

— Oh ! oh ! madame Geneviève, dit Charles Delmare en souriant, vous voulez donc ma ruine ?

— Allons ! c’est ça, mets-toi à rire ! quand il s’agit de quelque chose d’aussi sacré que les comptes d’un mois terrible ! Es-tu impatientant, va !

— Ne te fâche pas, nourrice, je reconnais mes torts ! Je ne devais pas plaisanter sur le compte de ce mois… terrible… Voyons, quel est le chiffre de nos dépenses ?

— Quarante-neuf francs et huit sous… Eh bien, trouves-tu qu’il y ait de quoi rire maintenant… hein ?

— Non, ma foi, et, sérieusement, je m’étonne de ce que…

— De ce que le chiffre est si gros ? À la bonne heure, voilà qui est au moins prendre souci de tes intérêts… Eh ! mon Dieu, mon pauvre fieu, moi aussi, j’ai été étonnée de ce gros chiffre ! si étonnée, que plusieurs fois j’ai recommencé mon addition pour m’assurer que je ne me trompais pas… mais, d’un autre côté, il faut dire que le ressemelage de l’une de tes paires de souliers (ils sont maintenant aussi bons que des neufs !) entre dans notre compte pour la somme de quatre francs et cinq sous !… Il y a aussi un achat de trois francs et dix sous de finette, employée à doubler de nouveau l’une de tes vestes… ça fait près de huit francs ; et dame, vois-tu, le total monte fièrement vite, lorsque ça va par des trois et des quatre francs à la fois !

— Digne et excellente femme, reprend Charles Delmare : — depuis le temps que tu es ma ménagère, je devrais m’habituer à tes prodiges d’ordre, d’économie ; cependant je m’étonne aussi sincèrement aujourd’hui qu’il y a trois ans, de ce que, grâce à toi, nous puissions vivre de si peu !

— Mais, mon Charlot, réfléchis donc que tu déjeunes d’une tasse de lait et de quelques fruits ; que tu dînes des légumes de notre jardin, des œufs de nos poules ; que tu bois de l’eau de notre fontaine ; que tu ne manges pas, j’en suis sûre, une demi-livre de