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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/607

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Jeane San-Privato, à cette question de M. d’Otremont au sujet de Maurice : « Mais, mon Dieu ! qu’espérez-vous donc, et pour vous et pour lui ? » Jeane San-Privato reste silencieuse ; ses traits prennent une expression indéfinissable, singulier mélange de désespoir et de sérénité, car un sourire poignant, presque cruel, effleure ses lèvres contractées, tandis que, pendant un instant, son beau regard, qu’elle a levé vers le plafond d’un air inspiré, rayonne d’un tranquille et doux éclat. Mais Jeane sortant bientôt de sa rêverie, se lève, et, tendant sa main à M. d’Otremont :

— Adieu, Richard, adieu, cher et fidèle ami !

— Quoi ! déjà vous me quittez… ?

— Je vous ai dit le but de ma visite ; il est atteint ; mille fois merci encore de votre cordial accueil.

Richard ne peut cacher l’émotion pénible que lui cause le départ de la jeune femme, et il reprend, d’une voix légèrement altérée :

— Si vous croyez, Jeane, me devoir quelque gratitude, prouvez-le-moi en m’accordant quelques minutes encore. Cette demande ne m’est pas dictée par l’égoïsme, puisque je désire vous parler uniquement de vous.

— Et qu’avez-vous à me dire de moi, mon cher Richard ?

M. d’Otremont se recueille, hésite, et, enfin, faisant un violent effort afin de surmonter son embarras :

— Me croyez vous galant homme ?

— Vous êtes à mes yeux l’honneur même.

— Avez-vous foi dans mon amitié ?

— Richard, vous êtes le seul homme à qui je demanderais un service.

— Jeane, — reprend vivement M. d’Otremont, — répétez ces paroles, je vous en supplie…

— Vous êtes le seul homme à qui je demanderais un service.

— De quelque nature qu’il fût ?

— Oui, mon ami, de quelque nature qu’il fût.

— Ainsi, vous ne pouvez être aucunement blessée des offres de service que je puis vous faire, Jeane, quelles que soient ces offres ?

— Comment pourraient-elles me blesser ? Est-ce que je ne connais pas la noblesse de votre cœur ?

— Eh bien, Jeane, écoutez-moi : M. Thibaut est notre notaire à tous deux ; il m’a donné tantôt sur vos affaires d’intérêt des dé-