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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/619

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Et elle ajoute, avec l’autorité d’une femme qui a le droit de commander :

— Tâche donc de ne pas t’émanciper, de ne pas faire le grognon, s’il vous plaît, et d’être un peu plus gentil que ça, surtout quand je viens te conter mes ennuis, qui sont aussi les tiens, puisque c’est aussi bien à toi qu’à moi que ce scélérat-là veut faire des avanies.

— Qui cela ?

— Ce monstre de Mathurin.

— Votre fils ?

— Oui… Ma cuisinière, en revenant de son marché, l’a tout à l’heure trouvé dans la loge du portier, où il disait contre toi et moi les horreurs de la vie. Il avait l’air furieux. Il est maintenant décidé à nous suivre quand nous sortirons, à nous faire des scènes en pleine rue, à ameuter les passants contre nous en criant que j’achève de me ruiner pour toi. Il faut, une fois pour toutes, ôter à ce polisson-là l’envie de nous engueuler… Tu n’as qu’à lui appliquer une bonne râclée, et je te réponds que cet avorton n’osera plus souffler mot. Voici donc à quoi j’ai pensé…

Mais, prêtant l’oreille du côté de l’une des portes du salon laissée entr’ouverte et communiquant à une petite antichambre, madame Thibaut ajoute :

— Tiens ! on frappe à la porte qui donne sur l’escalier. Tu rougis, Maurice, tu as l’air embarrassé ; tu attends quelqu’un, j’en suis sûre ! tu me le cachais… Ah !… ah !… je veux voir comment cette visite-là a le nez fait, moi, car il se pourrait bien que tu eusses une intrigue, et…

Athénaïs n’achève pas sa phrase, et reste stupéfaite de voir Maurice sortir brusquement du salon, dont il ferme la porte à clef, tandis qu’Athénaïs s’écrie :

— Maurice, où vas-tu ?… Pourquoi me laisses-tu seule ?… Ah ! le gueux ! il m’enferme à double tour… Il y a quelque histoire de femme là-dessous.

Voici ce qui motivait la réclusion de madame Thibaut : le fils de famille avait jusqu’alors attendu avec une anxiété croissante la réponse de sa lettre à M. d’Otremont, de qui le messager devait frapper à la porte de l’entre-sol sans s’arrêter à la loge du concierge, précaution dictée par les craintes de Maurice à l’endroit de la féroce jalousie d’Athénaïs, qui l’entourait d’un espionnage incessant. Il était surveillé par le concierge, qu’elle payait à la condition qu’il lui remît toutes les lettres adressées à son galant. Celui-ci, afin d’éviter qu’il en fût ainsi de la réponse et des va-