le tien : les hontes écrasantes de l’audience, ton sombre désespoir en entendant ton arrêt, prouveront au moins que tout respect humain n’est pas éteint en toi ; mais, ta condamnation prononcée, viendra l’heure où tu seras emprisonné avec la lie de la société, mis à jamais à son ban, séparé d’elle par un abîme d’infamie ; de ce jour, Maurice, tu poursuivras la société de ta haine, tu te mettras contre elle en révolte ouverte, tu n’aspireras qu’au moment d’être libéré, afin de venger, par de nouveaux crimes, ton châtiment mérité. En attendant ce moment, ta force physique, ton intelligence, la violence de ton caractère, ta connaissance du monde, ton éducation même t’assureront sur tes compagnons de prison un effrayant empire. Ils t’instruiront de la pratique et des raffinements de leur métier. Jusqu’alors faussaire et meurtrier de rencontre, tu te perfectionneras dans la science du crime, tu deviendras l’un de ces redoutables scélérats, terreur de la société qui les poursuit et les traque comme des bêtes enragées !
— Jeane, Jeane, tu m’épouvantes !
— Et, lorsque tu sortiras de prison au bout de dix ou douze années, dans toute la force de l’âge, et bronzé au mal par le feu de l’enfer où tu auras vécu, tu ne reculeras devant aucun forfait ; tôt ou tard, ressaisi par la justice des hommes, jeté de nouveau en prison, tu n’en sortiras plus que pour monter sur l’échafaud.
— Ce que tu dis là, Jeane, est horrible ; non, non, jamais je ne serai criminel à ce point !
— Maurice, il y a cinq ans, si l’on t’avait prédit ton abjection actuelle, qu’aurais-tu répondu ?
— Hélas !
— Est-ce que la distance que tu as parcourue pour arriver où tu en es aujourd’hui n’est pas incommensurable, comparée à celle qui te sépare des voleurs et des assassins endurcis ?
— Je l’avoue…
— Interroge-toi avec l’inexorable sévérité d’un juge ; regarde bien au fond de ton âme, et tu reconnaîtras qu’au bout de dix ou douze années de prison, tu seras devenu un homme capable de tout.
— Je le crains, répond Maurice après un long silence méditatif. — Je le crains ; car, hier, lorsque j’ai voulu empêcher ce malheureux de crier à l’assassin, je ne sais quel sanglant vertige a troublé ma raison. Je l’ai tué sans le vouloir ; quelques moments plus tard, j’aurais été, je crois, sciemment homicide. Ah ! tu dis vrai, je suis peut-être destiné à devenir un grand criminel !