pouvais bien prendre un peu sur toi, cela t’aurait certainement intéressé, d’aller de temps à autre jusqu’au Morillon voir cette belle ferme-école où ces pauvres jeunes paysans, à qui l’on enseigne la culture, sont si contents, si heureux ! Il n’y en a pas un qui ne bénisse le nom et la mémoire de feu ce bon M. Dumirail, qui, n’ayant plus d’autre famille, a voulu être « enterré au milieu de ses enfants, » a-t-il dit. Et, en effet, son corps repose au fond d’une petite chapelle élevée dans le jardin de la ferme.
— Que M. Dumirail soit béni pour le bien qu’il a fait, et maudit pour le mal qu’il a fait aussi !
— Lui, le cher homme !… Et quel mal a-t-il donc fait ?
— Sa funeste ambition paternelle a perdu son fils et ma fille.
— C’est faux ! — s’écrie la nourrice avec emportement, et sa vénérable figure prend un caractère menaçant et farouche ; — c’est le muscadin qui a causé tout le mal. Sans lui, ni ta fille ni M. Maurice n’auraient été perdus !
Puis la nourrice, après un instant de réflexion :
— Ta fille, dans sa dernière lettre, ne te donne pas de nouvelles de son mari ?
— Non.
— Tu ne sais pas où il est à cette heure ?
— Déjà tu m’as plusieurs fois adressé cette question, nourrice, et je t’ai répondu que j’ignorais la résidence de San-Privato.
— Mais tu m’as dit que, sans doute, cette baronne qui a ruiné M. Maurice connaîtrait l’adresse du muscadin, n’est-ce pas, mon Charles ?
— Je le crois…
— Ainsi, en allant à Paris chez cette vilaine femme, on saurait d’elle où le trouver, le muscadin ?
— Quel intérêt as-tu de savoir… ?
— Et cette baronne demeure faubourg Saint-Honoré, no 92 ? — ajouta la nourrice pensive, interrompant Delmare. — C’est bien là son adresse, n’est-ce pas, mon Charles ?
— Oui, puisque, cédant à tes instances, dont je ne comprends pas le motif, j’ai écrit à d’Otremont pour lui demander l’adresse de madame de Hansfeld. Mais, encore une fois, nourrice, de quel intérêt ce renseignement peut-il être pour toi ?
— Quel intérêt ? — reprend Geneviève hochant la tête d’un air sinistre ; c’est notre secret à nous deux le bon Dieu.
— Qu’est-ce que cela veut dire ?
— Je m’entends… suffit… J’ai mon idée. Patience, patience, qui vivra verra !