Aller au contenu

Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/680

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

qu’au temps de votre première jeunesse, expression que vos traits avaient cependant déjà perdue au bout de quelque temps de votre séjour à Paris.

— Il faut, sans doute, cher maître, attribuer cette métamorphose à la salubre influence de l’air de nos montagnes, — répond Maurice souriant. — Je renais au passé en revenant dans notre Jura, où je suis résolu désormais à finir mes jours.

— Serait-il vrai ?… dit Delmare en regardant tour à tour sa fille et le jeune homme avec une satisfaction profonde ; — vous revenez ici pour toujours, Maurice ?

— Oui, cher maître.

— Mon père, — reprit Jeane, — nous n’avons pu jusqu’ici te faire part de nos projets ; nous étions, ainsi que toi, trop troublés, trop émus ; nous voici plus calmes, parlons de l’avenir. Quant au passé…

— Laissons-le dans l’oubli, dans le néant, mes enfants, — reprend Delmare en soupirant. — Votre retour à tous deux me semble annoncer de votre part un désir d’expiation et de réhabilitation ; l’avenir seul doit nous occuper.

— Un mot cependant sur le passé, cher maître, — reprend Maurice. — Je suis ruiné, complétement ruiné, ainsi que vous me l’aviez prédit !… D’autres de vos prédictions se sont réalisées depuis ce jour où, il y a environ six années, ici même, dans ce salon, et fort de votre expérience du monde, vous m’avez peint, en traits effrayants de réalité, la ruine et la dégradation de tant de fils de famille… À quoi je vous répondais en toute sincérité : « Rassurez-vous, cher maître ; laboureur je suis né, laboureur je mourrai ! »

— Oui, — ajoute Jeane avec un sourire mélancolique, — c’était ce même jour où Maurice, m’offrant une petite couronne de fleurs des champs, me proclamait princesse des bluets, souveraine des églantines, et m’offrait de partager son trône de luzerne rose ; t’en souviens-tu, mon père ? C’était dans la cour de la ferme, le jour de la fenaison des hauts prés du col de Tréserve.

— Hélas ! oui, mes enfants, ce passé a été, sera toujours l’un de mes meilleurs souvenirs et des vôtres. J’y ai bien souvent reposé, rafraîchi ma pensée. Ah ! de ce temps-là, nous pourrons du moins souvent parler !

— Quant au coupable passé, que nous devons laisser dans l’oubli, cher maître, un mot encore, — reprit Maurice. — Je suis, je vous l’ai dit, complétement ruiné. Mon digne père, qui n’a que trop justement puni mon inconduite, m’a, vous le savez sans