Aller au contenu

Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/694

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Ah çà ! monsieur Maurice, — reprend le vieillard, où allez-vous donc comme ça, par la neige, dans les hauts prés ? La neige porte et vous avez le pied montagnard, je le sais ; mais faut prendre garde, au moins, aux endroits abrités du nord, et où la neige est folle[1]. Vous y enfonceriez comme dans une tourbière.

— Nous avons, Jeane et moi, souvent parcouru la montagne en hiver, et nous ne ferons pas d’imprudence. Nous allions nous promener jusqu’au chalet, oubliant que c’est aujourd’hui dimanche, et que vous deviez être à la messe ; mais nous trouverons du feu chez vous, n’est-ce pas ?

— Oh ! oui, monsieur Maurice, un bon brasier qui vous réchauffera. La clef de la porte du chalet est vous savez bien où… si vous ne l’avez pas oublié ?

— Elle est accrochée derrière le volet, à gauche de la porte d’entrée, — reprend Jeane en souriant. — Voyez si j’ai bonne mémoire !

— Allons, adieu, bonnes gens ! dit Maurice.

Et il ajouta, au moment de poursuivre sa route :

— Y a-t-il beaucoup de neige sur les prés, là-haut, vers le col de Tréserve ?

— Oh ! il y en a plus de dix pieds, monsieur Maurice.

— Mais la neige porte bien ?

— Comme le roc… Par le froid qu’il fait, jugez donc !… Elle est gelée à six pouces.

— Merci… Adieu, bonnes gens.

— Pas adieu, mais au revoir, monsieur Maurice, puisque vous voilà pour toujours de retour dans nos montagnes. Faites bien attention aux neiges folles, et conservez-vous !

Après ce vœu, formulé selon la coutume des montagnards du Jura, les métayers, continuant leur route, descendirent vers les vallées ; les deux jeunes gens poursuivirent leur ascension vers le col de Tréserve, retombant dans leur silence méditatif, de temps à autre entrecoupé d’allusions à leur situation actuelle ou aux événements d’autrefois.

— Maurice, dit Jeane sortant de sa rêverie, à cette heure, qu’éprouves-tu ?

— Mon âme est tranquille, presque sereine. Elle se dilate, s’épanouit à mesure que nous nous rapprochons du faîte de la mon-

  1. Neige récente et non encore recouverte d’une croûte durcie par la gelée.