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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/78

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XIII


Madame San-Privato et son fils, restés seuls après le départ du domestique, et sachant l’inutilité de se donner la peine de poser l’un devant l’autre, semblèrent ôter un masque en reprenant leur physionomie naturelle ; déjà, d’ailleurs, celle d’Albert, s’entretenant confidemment avec un serviteur éprouvé, sur la discrétion duquel il savait pouvoir compter, n’offrait plus la séduisante apparence dont elle était parée, lorsqu’une heure auparavant il racontait ses voyages aux habitants du Morillon avec un si brillant succès ; l’expression de ses traits était devenue sèche, insidieuse et rogue ; mais, demeuré tête à tête avec sa mère, il ne chercha plus à dissimuler la réaction de ses secrets ressentiments ; le charme factice de sa figure, parfois si attrayante, disparut sous une expression de dureté sardonique, de méchanceté froide, et son visage, naguère encore ravissant, prit un caractère presque redoutable.

Madame San-Privato, non moins métamorphosée que son fils, n’était plus cette femme sur le retour, encore avenante, moyennant les ressources des cosmétiques, et qui, parvenant, à force de coquetteries câlines, de gracieusetés insinuantes et d’étourderies séniles, à dissimuler sa fausseté, sa perfidie, paraissait, aux yeux de son frère abusé, une pauvre femme très-inconsidérée, très-désordonnée dans ses dépenses, courant à sa ruine avec un aveuglement déplorable, mais bonne au fond, et que l’on ne pouvait s’empêcher d’affectionner, tout en la blâmant.

Telle n’était plus madame San-Privato en entrant chez son fils ; la doucereuse apparence de son visage avait disparu en même temps que le fard de ses joues ; les bandeaux relevés de ses cheveux teints ne cachaient plus les rides de son front ; on lisait sur ses traits pâles, crispés, l’envie haineuse que lui inspiraient ceux-là dont elle venait de recevoir un accueil cordial et qui ne soupçonnaient même pas la noirceur de cette femme frivole. Quelques mots achèveront de la peindre.

Mariée fort jeune à M. San-Privato, consul général de Naples,