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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/99

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point ainsi couper l’herbe sous le pied ; faut se rebiffer, mon fieu, faut faire quelque chose, toi qui as tant d’esprit, tant de judiciaire, tant de courage, mon Charles, toi qui aimes tant ta petite Jeane, ce bon M. Maurice et ses dignes parents ! Tu laisserais ce méchant freluquet… je dis méchant… il l’est, puisqu’il te tourmente… tu le laisserais mettre à l’envers le bonheur de tant de braves gens ! sans compter le tien et le mien par-dessus le marché ? Jour de Dieu ! je ne suis pas encore manchote, je lui arracherais les yeux, à ce muscadin-là, qui vient faire de la peine à mon fieu !

— Rassure-toi, Geneviève, je ne suis pas tellement brisé par l’âge et par le chagrin que je ne retrouve au besoin mon ancienne énergie. Non, je ne laisserai pas détruire en un seul jour le seul espoir qui maintenant donne un but à ma vie !

Puis, Charles Delmare ajouta d’un ton de regret amer :

— Ah ! malheur à moi ! Maintenant, je suis ruiné, je suis pauvre !

— Allons, mon Charles, ne pense plus à cela… tu as bien d’autres soucis, et l’argent ne pourrait…

— Que sais-je ? Puis-je prévoir les événements ? C’est un si puissant instrument que l’argent ! Il centuple nos ressources, aplanit tant d’obstacles ! Ah ! nourrice, quel juste et terrible châtiment de ma dissipation, si, un jour, le bonheur, le salut de ma fille dépendaient pour moi d’une question d’argent !

— Mon Charles, est-ce que c’est possible ? Est-ce qu’elle n’est pas chez de bons parents ?

— Oui, mais l’avenir… l’avenir, qui peut le prévoir ?

Et, après un moment de réflexion, Charles Delmare reprend :

— Ce sont là d’impuissants remords… Avant tout, je dois songer à conjurer le mal que je redoute… à combattre la dangereuse influence que peut avoir sur l’avenir de ceux que j’aime la présence de ce jeune San-Privato.

— Mais que faire, mon Charles, que faire ?

— Des projets confus se heurtent dans mon esprit bourrelé d’inquiétudes, et je ne puis m’arrêter à aucun !

— Mon Charles, — dit soudain Geneviève en se frappant le front, — une idée… qui me revient à propos du temps où j’étais une jeunesse !

— Quelle idée, nourrice ?

— Dame, vois-tu… c’est tout à la bonne franquette… comme au village.

— Voyons.

— Dis-moi, c’est la présence de ce freluquet qui cause tout ce tintouin chez nos braves voisins, n’est-ce pas ?