Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 1.djvu/115

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— Je ne suis pas venu plus tôt, monsieur Lebrenn, parce que nous avons eu beaucoup de barricades à traverser, elles s’élèvent de tous côtés… Je quitte Caussidière et Sobrier ; ils s’apprêtent à marcher sur la Préfecture : Leserré, Lagrange, Étienne Arago, doivent, au point du jour, marcher sur les Tuileries et barricader la rue Richelieu ; nos autres amis se sont partagé divers quartiers.

— Et les troupes, Georges ?

— Plusieurs régiments fraternisent avec la garde nationale et le peuple aux cris de : Vive la réforme ! À bas Louis-Philippe !… Mais la garde municipale et deux ou trois régiments de ligne et de cavalerie se montrent hostiles au mouvement.

— Pauvres soldats ! — reprit tristement le marchand ; — eux comme nous, subissent cette fatalité terrible, qui arme les frères les uns contre les autres… Enfin, cette lutte sera peut-être la dernière… Et votre grand-père, Georges, l’avez vous vu pour le rassurer ?

— Oui, monsieur ; je descends à l’instant de chez lui… Malgré son âge et sa faiblesse, il voulait m’accompagner… Je l’ai décidé à rester chez lui.

— Ma femme et ma fille sont là, — dit le marchand en montrant à Georges les jalousies du premier étage, à travers lesquelles on voyait de la lumière ; — elles s’occupent à faire de la charpie pour les blessés… On établira une ambulance dans notre magasin.

Tout à coup, ces cris : Au voleur ! au voleur ! retentirent vers le milieu de la rue, et un homme fuyant à toutes jambes fut bientôt arrêté par cinq ou six ouvriers en blouse et armés de fusils. Parmi eux, l’on remarquait un chiffonnier à longue barbe grise, encore agile et vigoureux ; il était vêtu de haillons, et quoiqu’il portât un mousqueton sous son bras, il gardait toujours sa hotte sur son dos. L’un des premiers, il avait arrêté le fuyard, et le tenait au collet d’une main ferme, pendant qu’une femme essoufflée accourait, criant de toutes ses forces :

— Au voleur !… au voleur !…