Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 1.djvu/124

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

riposté par des feux de peloton, s’élancèrent intrépidement à la baïonnette.


À travers la vapeur blanchâtre condensée sur le faîte de la barricade, se dessinaient plusieurs groupes : dans l’un, M. Lebrenn, après avoir déchargé son fusil, s’en servait comme d’une massue pour repousser les assaillants ; son fils et Georges, attachés à ses pas, le secondaient vigoureusement. De temps à autre, tout en combattant, le père et le fils jetaient un regard rapide sur la jalousie à demi baissée, et ces mots parvenaient parfois à leur oreille :

— Courage ! Marik !… — criait madame Lebrenn. — Courage ! mon fils !…

— Courage ! père !… — criait Velléda. — Courage ! frère !…

Une balle égarée fit voler en éclats une des lames fragiles de la jalousie derrière laquelle se trouvaient les deux femmes héroïques… Les deux vraies Gauloises, comme disait M. Lebrenn, ne sourcillèrent pas, elles restèrent à portée de voir le marchand et son fils.

Il y eut un moment où, après avoir vaillamment lutté corps à corps avec un capitaine, M. Lebrenn, venant de le renverser, se redressa, chancelant encore sur les pavés ébranlés ; soudain un soldat, debout sur la crête de la barricade, et dominant le marchand de toute sa hauteur, leva son fusil la pointe de la baïonnette en bas ; il allait transpercer le marchand, lorsque Georges, se jetant au devant du coup, le reçut à travers le bras, et tomba. Le soldat allait redoubler, lorsqu’il fut saisi aux jambes par deux petites mains, qui se cramponnèrent à lui avec la force convulsive du désespoir… il perdit l’équilibre et roula, la tête en avant, de l’autre côté de la barricade.

Georges devait la vie à Pradeline : brave comme un lion, les cheveux en désordre, la joue enflammée, elle était, durant le combat, parvenue à se rapprocher de Georges. Mais, au moment où elle venait de le sauver, une balle, en ricochant, frappa la jeune fille au côté. Elle tomba sur les genoux… en s’évanouissant son dernier re-