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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 1.djvu/13

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Gildas Pakou semblait pensif, quoiqu’il s’occupât de transporter à l’intérieur de la boutique les volets du dehors ; il s’arrêta même un instant, au milieu du magasin, d’un air profondément absorbé, les deux bras et le menton appuyés sur la carre de l’un des contrevents qu’il venait de décrocher.

— Mais à quoi pensez-vous donc là, Gildas ? lui dit Jeanike.

— Ma fille, répondit-il d’un air méditatif et presque comique, vous rappelez-vous la chanson du pays : Geneviève de Rustefan (B) ?

— Certainement, j’ai été bercée avec cela ; elle commence ainsi :

Quand le petit Jean gardait ses moutons,
Il ne songeait guère à être prêtre.

— Eh bien, Jeanike, je suis comme le petit Jean… Quand j’étais à Vannes, je ne songeais guère à ce que je verrais à Paris.

— Et que voyez-vous donc ici de si surprenant, Gildas ?

— Tout, Jeanike…

— Vraiment !

— Et bien d’autres choses encore !

— C’est beaucoup.

— Écoutez plutôt. Ma mère m’avait dit : « Gildas, monsieur Lebrenn, notre compatriote, à qui je vends la toile que nous tissons aux veillées, te prend pour garçon de magasin. C’est une maison du bon Dieu. Toi, qui n’es guère hardi ni coureur, tu seras là aussi tranquille qu’ici, dans notre petite ville ; car la rue Saint-Denis de Paris, où demeure ton patron, est une rue habitée par d’honnêtes et paisibles marchands. » — Eh bien, Jeanike, pas plus tard qu’hier soir, le second jour de mon arrivée ici, n’avez-vous pas entendu comme moi ces cris : Fermez les boutiques ! fermez les boutiques !!! Avez-vous vu ces patrouilles, ces tambours, ces rassemblements d’hommes qui allaient et venaient en tumulte ? Il y en avait dont les figures étaient terribles avec leurs longues barbes… J’en ai rêvé, Jeanike ! j’en ai rêvé !

— Pauvre Gildas !