Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 1.djvu/142

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par un des amis de M. Lebrenn, on voyait aux croisées madame Lebrenn et sa fille, toutes deux vêtues de noir ; M. Lebrenn, son fils, ainsi que le père Morin et son petit-fils, Georges, qui portait le bras en écharpe : tous deux faisaient dès lors, pour ainsi dire, partie de la famille du marchand. La surveille de ce jour, M. et madame Lebrenn avaient annoncé à leur fille qu’ils consentaient à son mariage avec Georges. Aussi lisait-on sur les beaux traits de Velléda l’expression d’un bonheur profond, contenu par le caractère imposant de la cérémonie, qui excitait une pieuse émotion dans la famille du marchand. Lorsque le cortège fut entré dans l’église, et que la Marseillaise eut cessé de retentir, M. Lebrenn, dont les yeux étaient humides, s’écria avec enthousiasme :

— Oh ! c’est un grand jour que celui-ci… c’est l’inauguration de notre république pure de tout excès, de toute proscription, de toute souillure… Clémente comme la force et le bon droit, fraternelle comme son symbole, sa première pensée a été de renverser l’échafaud politique, cet échafaud que, vaincue, elle eût arrosé du plus pur, du plus glorieux de son sang. Voyez : loyale et généreuse, elle appelle maintenant à un pacte solennel d’oubli, de pardon, de concorde, juré sur les cendres des derniers martyrs de nos libertés, ces magistrats, ces généraux, naguère encore implacables ennemis des républicains, qu’ils frappaient par le glaive de la loi, par le glaive de l’armée… Oh ! c’est beau ! c’est noble ! tendre ainsi, à ses adversaires de la veille, une main amie et désarmée !

— Mes enfants ! — dit madame Lebrenn, — espérons… croyons que ces martyrs de la liberté, dont on honore aujourd’hui les cendres, seront les dernières victimes de la royauté !

— Oui ! car partout la liberté s’éveille ! — s’écria Sacrovir Lebrenn avec enthousiasme. — Révolution à Vienne… révolution à Milan… révolution à Berlin… Chaque jour apporte la nouvelle que la commotion républicaine de la France a ébranlé tous les trônes de l’Europe !… La fin des rois est venue !