Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 1.djvu/18

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— Et qui donc ?

— Mademoiselle Velléda.

— Vraiment ?

— Mademoiselle brodait ; elle ne voyait pas que ce militaire la dévorait des yeux. Moi, j’étais si honteuse pour elle, que je n’osais l’avertir qu’on la regardait ainsi.

— Ah ! Jeanike, cela me rappelle une chanson que…

— Laissez-moi donc achever, Gildas ; vous me direz ensuite votre chanson si vous voulez. Ce militaire…

— Cet épervier…

— Soit… Était donc là, regardant mademoiselle de tous ses yeux.

— De tous ses yeux d’épervier ? Jeanike ?

— Mais laissez-moi donc achever. Voilà que mademoiselle s’aperçoit de l’attention dont elle était l’objet ; alors elle devient rouge comme une cerise, me dit de garder le magasin, et se retire dans l’arrière-boutique. Ce n’est pas tout : le lendemain, à la même heure, le colonel revient, en bourgeois cette fois, et le voilà encore aux carreaux. Mais madame était au comptoir, et il ne reste pas longtemps en faction. Avant-hier encore, il est revenu sans pouvoir apercevoir mademoiselle. Enfin, hier, pendant que madame Lebrenn était à la boutique, il est entré et lui a demandé très-poliment d’ailleurs si elle pourrait lui faire une grosse fourniture de toiles. Madame a répondu que oui, et il a été convenu que ce colonel reviendrait aujourd’hui pour s’entendre avec monsieur Lebrenn au sujet de cette fourniture.

— Et croyez-vous, Jeanike, que madame se soit aperçue que ce militaire est plusieurs fois venu regarder à travers les carreaux ?

— Je l’ignore, Gildas, et je ne sais si je dois en prévenir madame. Tout à l’heure je vous ai prié d’aller voir si ce dragon ne se retournait pas, parce que je craignais qu’il ne fût chargé de nous épier… Heureusement il n’en est rien. Maintenant me conseillez-vous d’avertir madame, ou de ne rien dire ? Parler, c’est peut-être l’inquiéter ; me taire, c’est peut-être un tort. Qu’en pensez-vous ?