Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 1.djvu/211

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aïeux ; car, depuis plus de deux cents ans, on ne mutile plus ainsi les prisonniers de guerre. Cette coutume remontait au temps des rois que Ritha-Gaür a rasés, comme tu dis, pour se faire une blouse avec leur barbe. C’était le beau temps de la barbarie que ces royautés. J’ai entendu dire à mon aïeul Kirio que, même du vivant de son père Tirias, les hommes qui avaient été à la guerre revenaient dans leur tribu avec les têtes de leurs ennemis plantées au bout de leurs lances, ou accrochées par leur chevelure au poitrail de leurs chevaux ; on les clouait ensuite aux portes des maisons en manière de trophées comme vous voyez clouées ici aux murailles ces têtes d’animaux des bois.

— Chez nous, dans les anciens temps, ami Joel, on gardait aussi ces trophées, mais conservés dans l’huile de cèdre, lorsqu’il s’agissait des têtes des chefs ennemis.

— Par Hésus ! de l’huile de cèdre… quelle magnificence ! — dit Joel en riant ; — c’est la coutume des matrones : à beau poisson, bonne sauce !

— Ces reliques étaient chez nous, comme chez vous, le livre où le jeune Gaulois apprenait les exploits de ses aïeux ; souvent les familles du vaincu offraient de racheter ces dépouilles ; mais se dessaisir à prix d’argent d’une tête ainsi conquise par soi-même ou par ses pères, était un crime d’avarice et d’impiété sans exemple… Je dis comme vous, ces coutumes barbares sont passées avec les royautés, comme aussi le temps où nos ancêtres se teignaient le corps et le visage de couleurs bleue et écarlate, et se lavaient les cheveux et la barbe avec de l’eau de chaux, afin de les rendre d’un rouge de cuivre.

— Sans injurier leur mémoire, ami hôte, nos aïeux devaient être ainsi peu plaisants à considérer, et devaient ressembler à ces effrayants dragons rouges et bleus qui ornent la proue des vaisseaux de ces terribles pirates du Nord dont mon fils Albinik, le marin, et sa gentille femme Meroe nous ont conté de si curieuses histoires. Mais voici nos hommes de retour des bergeries ; nous n’attendrons pas long-