Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 1.djvu/289

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se trahissaient sur la figure de l’oppresseur de la Gaule… Ses officiers, ses conseillers, se regardaient avec consternation, et échangeaient à voix basse des paroles qui semblaient pleines d’angoisse.

Alors César, se redressant brusquement sur son lit, adressa quelques brèves et violentes paroles à l’interprète, qui dit aussitôt au marin :

— César t’accuse de mensonge… Un tel désastre est impossible… Aucun peuple n’est capable d’un pareil sacrifice… Si tu as menti, tu expieras ton crime dans les tortures !…

Albinik et Méroë éprouvèrent une joie profonde en voyant la consternation, la fureur du Romain, qui ne pouvait se résoudre à croire à cette héroïque résolution si fatale pour son armée… Mais les deux époux cachèrent cette joie, et Albinik répondit :

— César a dans son camp des cavaliers numides, aux chevaux infatigables : qu’à l’instant il les envoie en éclaireurs ; qu’ils parcourent non-seulement toutes les contrées que nous venons de traverser en une nuit et un jour de marche, mais qu’ils étendent leur course vers l’orient, du côté de la Touraine, qu’ils aillent plus loin encore, jusqu’au Berri… et aussi loin que leurs chevaux pourront les porter, ils traverseront des contrées désertes, ravagées par l’incendie.

À peine Albinik eut-il prononcé ces paroles, que le général romain donna des ordres à plusieurs de ses officiers ; ils sortirent en hâte de sa tente, tandis que lui, revenant à sa dissimulation habituelle, et, sans doute, regrettant d’avoir trahi ses craintes en présence de transfuges gaulois, affecta de sourire, se coucha de nouveau sur sa peau de lion, tendit encore sa coupe à l’un de ses échansons, et la vida, après avoir dit à l’interprète ces paroles, qu’il traduisit ainsi :

— César vide sa coupe en l’honneur des Gaulois… et par Jupiter ! il leur rend grâce d’avoir accompli ce que lui-même voulait accomplir… car la vieille Gaule s’humiliera, soumise et repentante, devant Rome, comme la plus humble esclave… ou pas une de ses villes ne