Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 1.djvu/291

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devant passer la nuit en ce lieu, ils l’examinèrent avec attention.

Cette tente, de forme ronde, était intérieurement garnie d’une étoffe de laine rayée de couleurs tranchantes, fixée sur des cordes tendues et attachées à des piquets enfoncés en terre. L’étoffe, ne descendant pas au ras du sol, Albinik remarqua qu’il restait circulairement, entre les peaux grossièrement tannées, servant de tapis, et le rebord inférieur de la tente, un espace large comme trois fois la paume de la main. On ne voyait pas d’autre ouverture à cette tente que celle par laquelle les deux époux venaient d’entrer, et que fermaient deux pans de toile croisés l’un sur l’autre. Un lit de fer, garni de coussins, était à demi enveloppé de draperies dont on pouvait l’entourer en tirant un long cordon pendant au-dessus du chevet ; une lampe d’airain, élevée sur sa longue tige piquée dans le sol, éclairait faiblement l’intérieur de la tente.

Après avoir examiné en silence et avec soin l’endroit où il allait passer la nuit avec sa femme, Albinik lui dit à voix très-basse :

— César nous fera épier cette nuit ; on écoutera notre conversation… mais si doucement que l’on vienne, si adroitement que l’on se cache, on ne pourra, du dehors, s’approcher de la toile pour nous écouter sans que nous n’apercevions, à travers ce vide, les pieds de l’espion.

Et il montra à sa femme l’espace circulaire laissé entre le sol et le rebord inférieur de la toile.

— Crois-tu donc, Albinik, que César ait des soupçons ? Pourrait-il supposer qu’un homme ait eu le courage de se mutiler lui-même pour faire croire à ses ressentiments de vengeance ?

— Et nos frères ? les habitants des contrées que nous venons de traverser, n’ont-ils pas montré un courage mille fois plus grand que le mien, en livrant leur pays à l’incendie ? Mon unique espoir est dans le besoin absolu où est notre ennemi d’avoir des pilotes gaulois pour conduire ses galères sur les côtes de Bretagne. Maintenant surtout que le pays n’offre plus aucune ressource à son armée, la voie de