Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 1.djvu/310

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

près d’elle, à la poupe ; venaient ensuite les deux rameurs sur leur banc, et enfin l’homme à la hache debout, derrière Albinik, penché à la proue, sa sonde à la main… Se relevant soudain, il se fit de cette sonde une arme terrible, lui imprima le mouvement rapide que le frondeur donne à sa fronde, et du lourd plomb attaché au cordeau frappa si violemment le casque du soldat, qu’étourdi du coup, il s’affaissa au fond de la barque. L’interprète voulut s’élancer au secours de son compagnon ; mais, saisi aux cheveux par Méroë, il fut renversé en arrière, perdit l’équilibre et tomba à la mer. L’un des deux rameurs, ayant levé sa rame sur Albinik, roula bientôt à ses pieds. Le mouvement donné au gouvernail par Méroë fit approcher le bateau si près de l’îlot montueux, qu’elle y sauta, ainsi que son époux. Tous deux gravirent rapidement ces roches escarpées ; ils n’avaient plus d’autre obstacle pour arriver au rivage qu’un banc de sable, dont une partie, déjà découverte par la marée, était mouvante, ainsi qu’on le voyait aux bulles d’air qui venaient continuellement à sa surface. Prendre ce passage pour atteindre les rochers de la côte, c’était périr dans le gouffre caché sous cette surface trompeuse. Déjà les deux époux entendaient de l’autre côté de l’îlot, dont l’élévation les cachait, les cris, les menaces du soldat, revenu de son étourdissement, et la voix de l’interprète, retiré sans doute de l’eau par les rameurs. Albinik, habitué à ces parages, reconnut, à la grosseur du gravier et à la limpidité de l’eau dont il était encore couvert, que le banc de sable, à quelques pas de là, n’était plus mouvant. Il le traversa donc en cet endroit avec Méroë, tous deux ayant de l’eau jusqu’à la ceinture. Ils atteignirent alors les rochers de la côte, les escaladèrent agilement, et s’arrêtèrent ensuite un instant afin de voir s’ils étaient poursuivis.

L’homme à la hache, gêné par sa pesante armure, et n’étant, non plus que l’interprète, habitué à marcher sur des pierres glissantes couvertes de varechs, comme l’étaient celles de l’îlot qu’ils avaient à traverser pour atteindre les deux fugitifs, arrivèrent, après maints efforts,