Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 1.djvu/56

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d’épais rideaux de damas bleu tendre, semés de roses, atténuaient l’éclat du jour ; des fleurs garnissaient de grands vases de porcelaine. L’atmosphère était tiède et parfumée. Les vins étaient fins, les mets recherchés. Pradeline et M. de Plouernel y faisaient honneur.

Le colonel était un homme de trente-huit ans environ, d’une taille élevée, svelte et robuste à la fois ; ses traits, un peu fatigués, mais d’une sorte de beauté fière, offraient le type de la race germanique ou franque, dont Tacite et César ont tant de fois dessiné les traits caractéristiques : cheveux d’un blond pâle, longues moustaches rousses, yeux gris clairs, nez en bec d’aigle.

M. de Plouernel, vêtu d’une robe de chambre magnifique, paraissait non moins gai que la jeune fille.

— Allons, Pradeline, — dit-il en lui versant un glorieux verre de vieux vin de Bourgogne, — à la santé de ton amant !

— Quelle bêtise ! est-ce que j’ai un amant ?

— Tu as raison. À la santé de tes amants !

— Tu n’es donc pas jaloux, mon cher ?

— Et toi ?

À cette question, Pradeline vida lestement son rouge bord ; puis, faisant tinter son verre avec le bout de la lame de son couteau, elle répondit à la question de M. de Plouernel en improvisant sur l’air alors si en vogue de la Rifla :

………………………….À la fidélité
………………………….Je joue un pied de nez,
………………………….Quand un amant me plaît,
………………………….Ah ! mais, c’est bientôt fait.
…….………….La rifla, fla, fla, fla, la rifla, etc., etc.

— Bravo, ma chère ! — s’écria le colonel en riant aux éclats.

Et faisant chorus avec Pradeline, il chanta en frappant aussi son verre de la pointe de son couteau :

………………………….Quand un amant me plaît,
………………………….Ah ! mais, c’est bientôt fait.
………….…….La rifla, fla, fla, fla, la rifla, etc., etc.