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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 1.djvu/61

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— Non, mais j’espère que du moins ils ferment les yeux… alors je pourrai éblouir la petite par des cadeaux et aller très-vite ! Hein ! qu’en penses-tu ?

— Dam ! moi, je ne sais pas, — répondit Pradeline en jouant l’ingénuité… — Si dans ton grand monde ça se fait de la sorte, si les parents vendent leurs filles, peut-être ça se fait-il aussi chez les petites gens. Pourtant, je ne crois pas ; ils sont trop bourgeois, trop épiciers, vois-tu ?

— Petite, — dit M. de Plouernel avec hauteur, — tu t’émancipes prodigieusement.

À ce reproche, la jeune fille partit d’un grand éclat de rire, qu’elle interrompit par cette nouvelle improvisation joyeusement chantée :

………………………….Voyez donc ce seigneur
………………………….Avec son point d’honneur !
………………………….Pour ce fier paladin
………………………….Tout bourgeois tout gredin !
………………….La rifla, fla, fla, fla, la rifla, etc. ; etc.

Après quoi, Pradeline se leva, prit sur la cheminée un cigare qu’elle alluma bravement en continuant de chantonner son refrain ; puis elle s’étendit dans un fauteuil en envoyant au plafond la fumée bleuâtre du tabac doré de la Havane.

M. de Plouernel, oubliant son dépit d’un moment, ne put s’empêcher de rire de l’originalité de la jeune fille, et lui dit :

— Voyons, petite, parlons sérieusement ; il ne s’agit pas de chanter, mais de me conseiller.

— D’abord, il faut que je connaisse le quartier de tes amours, — reprit la jeune fille d’un ton dogmatique en se renversant dans le fauteuil ; — la connaissance du quartier est très-importante… Ce qui se peut dans un quartier ne se peut pas dans l’autre. Il y a, mon cher, des quartiers bégueules et des quartiers décolletés.

— Profondément raisonné, ma belle; l’influence du quartier sur la vertu des femmes est considérable… Je peux donc sans rien com-