Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 10.djvu/100

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malgré toutes vos intelligentes précautions, ce proscrit était surpris dans votre maison par la police du lieutenant criminel, vous ne l’ignorez pas, et je dois insister là dessus, vous risqueriez la prison… pis peut-être… car en ces temps il y a peu à compter sur la justice des hommes…

— Monsieur Estienne, me croyez-vous accessible à la crainte ?

— Non, je sais votre dévouement pour moi ! Cependant, croyez-le, si la surveillance exercée sur ma maison ne me mettait pas presque dans l’impossibilité d’offrir un refuge assuré à l’ami bien cher que je vous confie, je ne vous exposerais pas à des dangers que je serais jaloux de braver moi-même. J’avais d’abord songé à lui donner asile dans ma courtille de Saint-Ouen ; cette maison des champs est solitaire et assez éloignée du village ; mais, pour plusieurs raisons dont il ne m’est pas encore permis de vous instruire, il faut que mon ami demeure caché au centre de Paris. Enfin, je vous le répète, Christian, si, contre toute probabilité, vous deviez être inquiété, s’il devait vous arriver dommage au sujet du service que vous m’aurez rendu, votre femme, vos enfants, trouveraient dans ma famille une famille…

— Monsieur Estienne, je n’oublierai de ma vie que mon père, indignement calomnié par le successeur de l’imprimeur Jean Saurin, mourait de faim et de désespoir, lui et sa famille, sans la généreuse assistance de votre père ! Cette dette de reconnaissance envers vous et les vôtres, quoi que je fasse, je ne l’acquitterai jamais…

— Mon père a agi en homme de bien, rien de plus ; mais si vous tenez absolument à vous croire notre obligé, votre noble action sera pour nous une preuve de plus de votre reconnaissance, digne Christian ; mais je ne vous ai pas tout dit…

— Comment cela ?

— Obéissant à un sentiment de délicate réserve, vous ne m’avez pas demandé en faveur de qui je sollicitais de vous ce refuge…