Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 10.djvu/106

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

terminaient ainsi. Il était si indigné, ce bon père, qu’il m’a donné sur ces sabbats des détails… ah ! mais des détails qui me rendaient le visage rouge et chaud comme braise.

— Pour achever mon récit, — reprit le narrateur, — j’ajouterai que, le fils du tailleur, craignant d’être massacré par les hérétiques s’il ne les imitait point, a dû faire comme les autres, et au moment où l’on éteignait les cierges, comme il se trouvait justement dans la mêlée, près de l’une des filles du riche bourgeois, alors, ma foi, en bon drille, il a…

Ce récit, résumant les stupides et atroces calomnies répandues par les moines contre les réformés, fut interrompu par de nouvelles clameurs poussées dans l’intérieur de la Cour-Dieu. Christian et l’inconnu, écoutant avec un secret dégoût et une muette indignation tant d’ignominies mensongères colportées par un peuple ignorant et crédule, avaient suivi le mouvement de la foule ; ils se trouvaient sous la voûte du guichet, d’où ils purent embrasser d’un coup d’œil ce qui se passait sur la place. Une sorte de reposoir, garni de cierges allumés, se dressait sous la voûte de la porte du couvent des cordeliers ; une statue de la Vierge, de grandeur naturelle, sculptée en bois, magnifiquement vêtue d’une robe de brocart d’or, le visage peint comme un portrait, dominait le reposoir. Plusieurs cordeliers, parmi lesquels Christian reconnut fra‑Girard, stationnaient aux abords de la chapelle ardente ; deux d’entre eux, tenant à la main de larges bourses de velours, étaient postés de chaque côté de la statue ; un groupe nombreux d’hommes et de femmes déguenillés, d’une figure cynique, repoussante ou féroce, armés de bâtons, et groupés non loin de la porte du couvent, attendaient le moment de s’élancer, au signal des moines, sur les malheureux suspectés d’hérésie ; chaque passant, sortant du guichet, traversait forcément la place à peu de distance de la statue de la Vierge : s’il s’agenouillait devant elle et jetait son aumône dans la bourse des quêteurs, aucun danger ne le menaçait ; mais s’il n’accomplissait pas